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    La dîme en droit ecclésiastique et laïque

    Plusieurs pères de l'Eglise avaient exhorté les fidèles à s'acquitter d'une dîme volontaire qui, au Ve s., devint de plus en plus une obligation, destinée à l'entretien des infrastructures ecclésiastiques et à des buts charitables. A côté des synodes, les Carolingiens furent les principaux propagateurs de ce système dans le royaume franc, en le reprenant dans leur législation. Mais l'importance des dîmes carolingiennes est difficile à évaluer, parce que dès le haut Moyen Age différentes redevances portaient ce nom: dîme ecclésiastique au sens propre, double dîme (decima et nona) sur des biens d'Eglise inféodés, versée en dédommagement par leur détenteur, dîme fiscale dans les domaines royaux. Les dispositions du Décret de Gratien, vers 1140, sont les premières à laisser entrevoir un système développé, à peu près généralisé, consistant en dîmeries dont le territoire, bien délimité, correspond dans chaque cas à une église paroissiale (ou ayant droit de baptême), ce qui indique que la dîme était vue comme la contrepartie des fonctions pastorales et sacramentelles.

    Dîme et agriculture

    Le rôle économique des dîmes n'est perceptible que depuis le bas Moyen Age, grâce aux livres de comptes et listes de redevances des seigneuries, qui montrent qu'elles ont gagné du terrain par rapport à d'autres revenus depuis le XIVe s. Par exemple, elles assuraient au Fraumünster de Zurich un tiers de toutes ses rentrées de céréales au XVe s. Le prieuré de Saint-Alban à Bâle accrut de 50 à 100%, entre la fin du XIVe s. et le début du XVe s. les revenus tirés de ses diverses dîmes. Cette augmentation reflète certainement une hausse de la production agricole, mais les médiévistes mettent en garde contre toute conclusion hâtive à cet égard.

    En effet, certaines sources indiquent le rendement attendu, d'autres le revenu réel. En outre, le taux n'était pas toujours identique; la dîme du vin, par exemple, se levait au-dessus du taux moyen dans les bonnes années, au-dessous dans les mauvaises. Le dépouillement des rôles de dîme est rendu difficile par les fréquents changements touchant la propriété aussi bien des terres soumises que des droits. Il faut aussi tenir compte des différents modes de perception et du fait que certaines dîmes avaient une valeur fixe. Les effondrements brusques, comme au couvent de Rüti dans la seconde moitié du XVe s., sont dus à un changement structurel (élevage remplaçant la céréaliculture) plutôt qu'aux crises agricoles du bas Moyen Age. Comme à cette époque une partie des dîmes était payée en argent et non en nature, on ne peut plus dire qu'un type de dîme correspond dans chaque cas à une production agricole réelle.

    Une grande diversité règne dans les dîmes médiévales; même la distinction originelle entre grosses dîmes (céréales, vin) et petites dîmes (fruits, croît des troupeaux ou dîme des nascents, foin) n'est pas partout semblable et les historiens en donnent diverses explications. La différenciation s'affine peu à peu, au bas Moyen Age, selon les produits: dîme des grains, du vin, du foin, des nascents, du fromage, voire du lin, du chanvre, des châtaignes ou du miel. Il y a en outre des dîmes définies selon le statut juridique des terres: novales ou novalies (sur des défrichements récents), dîmes de jachère, de communaux, forfaits pour les fermes isolées.

    La Dîme aux grains

    Établie à la fin du VIIIe siècle, la dîme s'étendait à toutes les productions agricoles. Pendant un millénaire, elle a assuré de confortables revenus à l'Église.

    La dîme, ancêtre de notre moderne denier du culte, fut établie sous Charlemagne pour subvenir aux besoins de l'Église. Tous les producteurs agricoles devaient abandonner une partie de leurs récoltes, non seulement les paysans mais aussi les nobles qui faisaient exploiter directement leurs terres, mais aussi les ecclésiastiques qui détenaient des biens patrimoniaux. Seuls quelques monastères étaient exempts.

    La dîme des grains est quérable (de quérir, aller chercher) et non portable. L'Église doit venir la prélever sur le champ et le paysan n'a pas le droit de rentrer sa récolte tant que le dîmeur n'est pas passé. On devine les frictions qui devaient se produire dans certaines paroisses quand le temps devenait menaçant et que le prélèvement n'avait pas encore été fait.

    Le taux de la dîme (théoriquement un dixième de la récolte comme l'indique son nom) est en fait très variable. Le plus souvent, on ne prélève qu'une gerbe sur douze, soit un taux de 8 % environ, mais ce taux peut varier d'une province à l'autre, d'une paroisse à l'autre.

    Dans le Blayais (dans l'actuelle Gironde), la dîme se paie au trentième dans les marais mais au quinzième dans les terres. À Lacépède (région d'Agen), on dîme au dixième le blé, le seigle et les fèves, au treizième le chanvre et le lin, au vingtième le vin et le millet. Dans des provinces comme la Flandre maritime, le Dauphiné, la Provence, la dîme peut être très faible, du vingtième au soixantième. C'est en Poitou qu'elle est la plus faible avec le versement d'un unique boisseau de grain par métairie.

    En revanche, certaines provinces sont écrasées: dans la région de Condom (Gers), la dîme est au huitième, elle peut aller au septième en Lorraine, certaines paroisses bretonnes étaient dîmées au cinquième ou au quart, le champart seigneurial étant compris dans le prélèvement.

    Dans les régions de France les plus nombreuses, où la dîme était d'une gerbe sur dix, onze, douze ou quatorze, l'usage s'était établi pour en faciliter la perception, de mettre le blé en dizeaux de dix, onze, douze ou quatorze gerbes, la dernière gerbe, celle que prélevait le dîmeur, étant placée à plat sur le tas car la règle exigeait que l'ensemble du champ fut parcouru par la voiture qui enlevait la dîme.

    Pratiquement, le curé, l'évêque ou le monastère titulaire de la dîme, ne la lève pas lui-même. Il l'adjuge aux enchères dans le courant juin ou juillet, juste avant la moisson, quand on peut en estimer le produit de façon sûre. C'est le plus souvent un gros fermier de la paroisse qui s'en rend adjudicataire et qui donc, après avoir payé le décimateur, lève les grains pour son propre compte.

    Outre sa lourdeur, les paysans font un double reproche à la dîme: d'abord, elle ne profite pas toujours au clergé local et aux besoins d'assistance dont il a la responsabilité car, au cours du temps, beaucoup de curés ont été dépouillés de leurs dîmes par de gros établissements religieux. L'abbaye de La Chaise-Dieu, en Auvergne, lève ainsi la dîme sur plus de trois cents paroisses des diocèses de Clermont et de Saint-Flour.

    Mais surtout, quand le dîmeur est extérieur à la paroisse, la dîme des grains à l'énorme désavantage de faire sortir des pailles du terroir, donc de réduire le fumier disponible pour les terres du finage, ce fumier si indispensable à la production des grains en l'absence de tout engrais chimique.

    Dîme et seigneurie

    L'existence d'églises privées (Patronage ), point d'intersection entre le pouvoir ecclésiastique et seigneurial, entraîna rapidement la sécularisation des dîmes et de leur administration, en dépit des tentatives de l'Eglise et des rois, depuis l'époque carolingienne, pour faire cesser les usurpations de dîmes par les seigneurs ou leur remise à des laïcs. Au bas Moyen Age encore, droit de dîme et seigneurie foncière sont en étroite relation. En s'appropriant les dîmes paroissiales, les seigneurs fonciers ecclésiastiques ou laïques pouvaient étendre leurs droits seigneuriaux sur la personne et les biens d'hommes libres et de serfs de la Maison-Dieu , et c'est sans doute le principal moyen qu'ils utilisèrent à cet effet, par exemple en Suisse centrale. Les ventes, inféodations, mises en gage, appropriations violentes et certainement aussi des créations nouvelles marquèrent l'évolution des dîmes jusqu'au XVe s.

    La perception incombait au décimateur et à ses agents, à moins qu'elle ne fût affermée à des tiers pour un montant fixe (dîme abonnée) ou variable d'année en année. Au bas Moyen Age, outre la noblesse ministériale liée aux seigneurs, le clergé local et des membres de l'élite villageoise, on vit de plus en plus de bourgeois aisés s'intéresser aux diverses formes de perception des dîmes. Le morcellement fréquent de ces taxes (sur les terres de l'abbaye de Saint-Maurice, par exemple, des sixièmes et huitièmes de dîme sont attestés au XIIIe s. déjà) était source de conflits. Mais depuis le XVe s., on constate un mouvement inverse de concentration, qui fait que la dîme a contribué à la formation de la seigneurie territoriale. De même, divers exemples en Suisse centrale montrent que la fiscalité des cantons confédérés pourrait tenir sa diversité du fait qu'elle dérive notamment d'anciennes dîmes.

    Sebastian Grüninger

      

    SOURCES http://beaujarret.fiftiz.fr/blog/r305,impots-et-taxes,1.html

      

      

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