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    L'enfant et la famille au Moyen Age

     

    Lorsque les jeunes gens ont décidé de faire "pot et feu commun", ils se marient.

     

     

     

    Si, à partir du début du IX siècle, la monogamie s'impose petit à petit à l'ensemble de la société, en revanche, le consentement mutuel des deux futurs mariés se trouve, dans les milieux aristocratiques, en concurrence avec une volonté des familles et des lignages de réaliser " un beau mariage " ,instrument de l'essor de leur richesse et de leur prestige. Le principe d'indissolubilité, lui aussi, résiste mal aux ambitions lignagères et de nombreux mariages nobles sont annulés sous prétexte de stérilité, d'impuissance ou à la suite de la découverte d'un lien de consanguinité entre les époux.

     

     

     

     

    Dans l'aristocratie mérovingienne et carolingienne, nombreuses sont les fi1les mariées très jeunes. On sait, par exemple, que Bathilde a environ 15 ans lorsque le maire du palais de Neustrie Erchinoald la marie à Clovis II vers 650-65 1 et qu'elle a à peine 17 ans lorsqu'elle donne naissance au futur Clotaire III (né en 652). Hildegarde n'a pas encore 15 ans lorsqu'elle épouse Charlemagne et la princesse byzantine Theophano est mariée avec l'empereur germanique Othon II, en 972 alors qu'elle est âgée de 11 ans.

     

     

     

     

     

      

      

    Dans les classes populaires, l'âge du mariage des filles doit, sans doute, être un peu plus tardif. Au XIII siècle, on considère que les trois quarts d'entre elles sont mariées à 18 ou 19ans En revanche, à la même époque, les garçons se marient plutôt vers 25 ou 27 ans. Même si, à partir de la fin du XI siècle (réforme grégorienne), le mariage devient un sacrement le prêtre n'a pas le rôle prépondérant qu'il peut tenir dans les autres sacrements (baptême, Eucharistie, confession, pénitence, extrême-onction).

     

     

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    Lors des noces, il est plutôt témoin du lien qui se noue entre un homme et une femme (et aussi entre deux familles) qu'acteur. En effet, la messe de mariage est encore exceptionnelle dans de nombreuses régions de la chrétienté. C'est ce qui explique pourquoi le rite principal qui, selon l'Église, fait le sacrement de mariage, à savoir l'échange des consentements, matérialisé par la remise de l'anneau nuptial par le mari à son épouse, se déroule souvent sous le porche de l'église.

     

     

    Pinned ImageCependant, dans les deux derniers siècles du Moyen Age, l'Église arrive à faire du sacrement du mariage un phénomène vraiment religieux grâce en particulier aux rites de bénédiction du lit, de la maison des jeunes mariés par le prêtre et surtout de l'anneau nuptial. Les nouveaux époux voient souvent dans ce rite la garantie d'un mariage fécond et d'une fidélité à toute épreuve. C'est au sein de l'institution matrimoniale que doit se faire la procréation. Raymond Lulle, à la fin du XIII siècle, explique à son fils que le mariage " est assemblement corporel et espirituel ordené por avoir enfanz qui soient serviteurs de Dieu ". Gilles de Rome, à la même époque, pense que " la meson d'un homme et son ostel n'est pas parfet se la femme et le mari n'ont enfanz ". On comprend que les enfants illégitimes, nés hors mariages, soient assez mal considérés, surtout à partir du XII siècle où ils sont souvent exclus des héritages dans les milieux aristocratiques. 

     

     

    On comprend aussi, selon cette conception, combien la stérilité est très mal vécue par les couples qui se demandent quel péché ont-ils pu commettre pour que Dieu les punisse ainsi.De nombreux récits de miracles mettent en scène un couple qui ne peut avoir d'enfant et qui implore l'intercession d'un saint ou de la Vierge .

      

     

    Les nobles vivent cette " panne d'héritier " d'autant plus douloureusement que l'enfant qui doit naître est aussi celui qui doit perpétuer le nom et le patrimoine de la famille. Pourtant, il arrive que des parents tentent, pour diverses raisons et par différents moyens, de ne pas avoir d'enfants.

     

     

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    La contraception, l'avortement et parfois l'infanticide sont attestés.
     

    Tout au cours du Moyen Age, des documents nous informent sur la lutte que l'Église mène contre ces pratiques qui visent à aller à l'encontre de la nature d'essence divine et nécessairement bonne Dès le Haut Moyen Age, les pénitentiels nous renseignent sur des potions magiques que certaines femmes absorbent pour éviter d'être enceintes. Burchard de Worms, par exemple, au début du XI siècle, interroge : " As-tu fait comme beaucoup de femmes, elles prennent leurs précautions pour ne pas concevoir (...) avec les maléfices et les herbes ". Il se montre particulièrement sévère puisqu'il préconise, comme pour un homicide, sept ans de pénitence.
     

      

    Cette pratique permet soit de limiter le nombre d'héritiers, soit dans les couches populaires souvent en difficulté, de réduire le nombre de bouches à nourrir. Il faut cependant nuancer l'idée d'une contraception répandue au Moyen Age, essentiellement à cause du peu d'efficacité de ces pratiques qui reposent sur des connaissances imprécises.

     

     

     

    La grande majorité des hommes et des femmes du Moyen Age n'ont sans doute guère pu contrôler de manière efficace le nombre de naissances. La meilleure méthode, vivement encouragée par l'Église, pour restreindre sa descendance, est de respecter les canons ecclésiastiques qui prônent la continence à certaines périodes de la semaine et de l'année. L'avortement est également attesté. Les documents ecclésiastiques dénoncent l'utilisation à des fins abortives de graines de fougère ou de gingembre, des feuilles de saule, d'épidème, de rue, des mélanges d'aloès, du persil, du fenouil ou encore des bains de camomille. Les condamnations de l'avortement au Moyen Age sont toujours très sévères.

     

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    Cependant, deux critères modifient les peines qu'encourent ceux et celles qui se livrent à une interruption volontaire de grossesse : le contexte de la conception et l'âge du fœtus. Le législateur distingue toujours nettement, en effet, la femme qui a agi dans le plus grand dénuement, pour laquelle la condamnation est plus légère, de la fornicatrice cherchant à celer son crime jugée plus sévèrement.

      

      

    Le législateur tient compte également du fait de l'animation du fœtus. On peut lire, par exemple, dans le pénitentiel de Bède (VII siècle) : " La mère qui tue l'enfant qu'elle porte dans son sein avant le quarantième jour après la conception jeûnera pendant un an, et après le quarantième jour, pendant trois ans." Mais cette distinction n'a d'importance que théorique car dans la pratique, il est clair que personne n'est capable à l'époque de déceler une grossesse si précocement, ce qui limite sensiblement l'efficacité des pratiques abortives.

     

     

     

     

     

    Reste alors l'infanticide. . . Il ne faut pas exagérer, comme on l'a souvent fait, cette pratique au Moyen Age. Le respect de la vie et l'amour très grand pour les enfants limitent considérablement ce type d'homicide. Cependant, comme à toutes les époques, hélas, des parents désœuvrés, pouvant à peine se nourrir, ont dû porter atteinte à la vie du nouveau-né. Des conciles condamnent les parents qui étouffent leurs enfants en couchant avec eux ou les mères qui ont permis que leurs nourrissons soient ébouillantés près du feu. Mais, dans ce cas, il s'agit souvent d'imprudence plus que d'acte volontaire.

     

     

     

    La femme enceinte est surprotégée

     

    Lorsqu'ils condamnent, les législateurs, là encore, font souvent la différence entre les femmes démunies pour lesquelles la peine est beaucoup moins lourde et les autres. Au Moyen Age, si l'infanticide existe, en aucun cas il n'est un phénomène massif et il est presque toujours lié au dénuement, à l'adultère et à la peur que le crime soit découvert. Il est clair que dans la majorité des cas, les pauvres femmes préfèrent tenter d'abandonner leur enfant, solution la plus chrétienne de se séparer d'une progéniture que l'on ne peut élever.

      

      

    L'Église légitime l'abandon pratiqué par les plus démunis et encourage vivement les parents qui ne peuvent faire autrement à se dessaisir d'un de leurs enfants en venant le déposer dans des lieux publics, en particulier aux portes des églises afin qu'ils soient trouvés plus sûrement. Mais ces cas de refus d'enfant sont, somme toute peu nombreux et compensés par un réel désir d'enfant dans la très grande majorité des familles.

     

     

     

     

     

      

      

    La femme enceinte est toujours surprotégée. Elle est autorisée, pat exemple, à ne pas comparaître à une convocation de tribunal et elle peut quitter l'église lorsqu'elle le désire. Dans une grande majorité de lois médiévales, si une femme enceinte est condamnée à mort, on ne peut pas mettre la sentence à exécution et les juges sont obligés d'attendre l'accouchement.

      

      

    La peur est grande de tuer l'enfant qu'elle porte mais aussi de donner la mort à une femme qui, mystérieusement s'apprête à donner la vie. L'enfant est né. Qu'il soit garçon ou fille, il est très vite entouré de soins attentifs par ses parents. Les historiens médiévistes ont désormais montré que les thèses de Philippe Ariès - qui soutient, en 1991, que le concept d'enfance n'existe pas - sont fausses et que l'enfant au Moyen Age est aimé, éduqué, reconnu dans sa nature particulière.

     

     

     

     

    Les textes médiévaux répètent souvent que les parents doivent chastier leur enfants. Chastier signifie, à la fois, réprimander et instruire. Le sens de ce mot n'entraîne pas nécessairement un châtiment corporel. Même si les traités de pédagogie préconisent l'utilisation de punitions physiques, beaucoup d'entre eux conseillent d'y recourir en dernière instance, lorsque la persuasion a échoué et insistent sur la nécessité d'une grande modération des coups pour qu'ils soient " efficaces ". L'éducation médiévale se fait donc d'abord" par la parole et par l'exemple ".

     

     

     

    Pour le tout petit enfant, la mère est très présente. En particulier, c'est elle qui assure la transmission de la foi chrétienne. Jean de Joinville, par exemple écrit, à propos de Saint Louis : " Dieu le garda par les bons enseignements de sa mère qui lui enseigna à croire en Dieu et à l'aimer ".

      

      

      

    Exemple royal qui se retrouve dans tous les milieux : Jeanne d'Arc dit, lors de son procès, que c'est sa mère qui lui a appris les trois prières que tout bon chrétien doit connaître : le Pater Noster, le Crédo et l'Ave Maria. On voit des mères accompagnant l'enfant à l'église, lui montrant des images sacrées ou des statues, lui enseignant les gestes de la prière. Cet enseignement des valeurs chrétiennes par la mère passe aussi par tous les objets de la vie quotidienne.

     

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    On a retrouvé, pour la fin du Moyen Age, des bols-abécédaires ornés d'une croix, des chapelets, des bouliers ou des jouets pieux pour enfants. La mère joue également un rôle particulièrement important dans l'éducation de l'adolescente, en lui transmettant un certain nombre de valeurs, de savoir-faire dans le domaine domestique bien sûr mais aussi pour la préparer à sa future vie de femme.

     

     

     

    Il est faux de croire qu'au Moyen Age, le tout petit enfant est élevé uniquement par sa mère et que, subitement, il quitte un monde de femmes pour être propulsé dans un monde d'hommes. Le père aussi intervient dans le domaine de la puériculture. Lorsqu'un couple a de nombreux enfants, lorsque la mère connaît un handicap ou tarde à se remettre d'un accouchement difficile, il est évident que le père s'occupe des bébés, surtout dans les milieux plus défavorisés, ne bénéficiant pas d'aides.

     

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    Lorsque l'enfant grandit, le père est aussi très présent auprès de ses enfants. Des images plus profanes laissent voir une grande complicité père-enfant, dans le jeu comme dans le travail : les petits ramassent des glands lorsque le père abat un chêne, effraient les oiseaux dans les champs pendant que le père sème du blé, tiennent les pattes du mouton que le père tond et, à la vendange, veulent l'aider à fouler le raisin dans la cuve. La forte présence des parents aux côtés de leurs enfants et le grand souci éducatif vont de pair avec une grande tendresse parentale. Les exemples ne marquent pas. Au milieu du XII siècle, en Angleterre, un enfant à peine âgé de 3 ans " soudain frappé de maladie, poussa des cris sinistres et fut misérablement abattu comme ses parents. L'un dit à l'autre : "Prends l'enfant, réchauffe-le dans tes bras".

     

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    Elle obéit et le blottit en fredonnant dans son giron comme elle en avait l'habitude, mais ni les baisers ni les caresses de sa mère n'améliorèrent son état Avec délicatesse, elle le mit à nouveau au berceau sur le côté mais même ainsi, la douleur ne put s'adoucir ". L'enfant meurt mais, comme il s'agit d'un récit de miracle, il ressuscite grâce a l'intervention d'un
    saint.

     

     

     

    A Montaillou, à la fin du XIII siècle, une femme cathare, condamnée pour hérésie, est emmenée par les inquisiteurs. Elle quitte la maison et sait qu'elle ne reverra plus jamais son enfant au berceau (elle mourra sur le bûcher) : " Elle voulut le voir avant de s'en aller ; le voyant, elle l'embrassa ; alors l'enfant se mit à rire ; comme elle avait commencé à sortir un petit peu de la pièce où était couché l'enfant, elle revint de nouveau vers lui ; l'enfant recommença à rire ; et ainsi de suite, à plusieurs reprises. De sorte qu'elle ne pouvait parvenir à se séparer de l'enfant. " Cette scène émouvante mais terrible en dit long sur les sentiments de la mère pour son enfant et sur le déchirement que représente pour elle cette séparation.

     

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    Dans le domaine de l'affectivité, les péres médiévaux ne sont pas en reste. C'est sans aucun doute lorsqu'il y a mort d'enfant que les sentiments parentaux se donnent le plus à voir, comme en témoigne, par exemple, la douleur du Florentin Filippo di Bemardo Manetti qui, lors de la peste de 1449-1450, en l'espace d'un mois et demi, perd sa femme, sept de ses filles et son fils unique âgé de 14 ans et demi. Voici l'éloge qu'il fait de ce dernier : " Je ne crois pas qu'il en naisse beaucoup de pareils à lui, aucun qui soit plus obéissant, plus respectueux, plus pur ni plus prudent et qui soit plus apprécié de tous ceux qui le voient. "

     

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    Des êtres unis par des liens très forts

     

    Ce qui, chez ce père italien force le plus l'amour et l'admiration qu'il éprouve pour son fils, est la manière dont son enfant s'est préparé à la mort ; " (Il) Reçut le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ avec tant de contribution et de révérence que les spectateurs en furent emplis de dévotion ; enfin, ayant demandé l'huile très sainte et continuant de psalmodier avec les religieux qui l'entouraient, il rendit patiemment son âme à Dieu. " Tant il est vrai que la famille médiévale est une communauté juridique de personnes issue du mariage qui vivent " à pot et à feu communs ", mais aussi une communauté psychologique d'êtres unis par des liens affectifs extrêmement forts.

     

     

     


    Didier Lett Chargé de cours en Histoire médiévale à l'université de Paris I-Sorbonne,

    détaché au CNRS

      

      

      

      

     

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