• Eglise Saint-Pierre de Thaon

    Eglise Saint-Pierre de Thaon

     

    L'église en cours de fouille
    (cliché : CRAHAM-INRAP - 2006)

     

    L'étude archéologique de l'église Saint-Pierre de Thaon, motivée par un projet de restauration générale de l'édifice, a débuté en 1998 sous l'impulsion de la Direction régionale des Affaires culturelles de Basse-Normandie. Les deux premières campagnes (1998 et 1999) ont été consacrées à l'analyse des élévations extérieures et à la réalisation de sondages, puis, à partir de l'été 2000, en collaboration étroite avec le Centre de Recherches archéologiques et historiques anciennes et médiévales (Unité de recherche associée au CNRS - FRE 3119 / Université de Caen Basse-Normandie), le Conseil général du Calvados, l'Institut national de Recherches archéologiques préventives, la commune de Thaon et l'association des Amis de la Vieille Eglise de Thaon, une opération de fouille complète de l'édifice a été engagée. Celle-ci est réalisée au cours des mois d'été dans le cadre de chantiers ouverts aux étudiants de l'université de Caen et aux bénévoles.

    Ce programme offre un cas d'étude d'un édifice religieux encore en élévation d'un grand intérêt, tant pour l'évolution du bâti et de ses liens avec la mise en place du réseau paroissial rural, que pour l'analyse anthropologique d'une population et l'évolution des modes funéraires à diverses périodes.

     

    L'origine de l'église de Thaon est sans doute à rechercher dans l'existence sur le site d'une occupation antique matérialisée par plusieurs maçonneries appartenant à un ou plusieurs bâtiments et par la présence de mobilier résiduel, principalement représenté par des fragments de céramique des iieiiie siècles et par quelques monnaies du iiie siècle. L'étude de cette occupation est à poursuivre avec le dégagement de nouvelles maçonneries et l'analyse des niveaux archéologiques qui s'y rattachent. Cette étude est essentielle pour permettre de déterminer le plan de cet établissement, sa fonction et son évolution, et pour comprendre également les liens qui existent avec la fondation de la première église au cours du très haut Moyen Age, notamment dans la continuité architecturale qui tend à se dessiner.

      

    Eglise Saint-Pierre de Thaon

     

    Plan général des structures et sépultures mises au jour à l'issue de la campagne 2007
    (dessin : CRAHAM-INRAP – 2007).

     
     

    La mise en place d'un édifice cultuel au viie siècle marque le début de l'installation d'un lieu de culte chrétien dans la vallée. Le choix du site semble être lié à la fois par l'existence de l'occupation antique et par sa situation centrale entre plusieurs terroirs. Cet édifice à plan rudimentaire paraît s'articuler autour d'une sépulture particulière, sans doute celle d'un personnage important, qui sera préservée lors des reconstructions et remaniements postérieurs. La vocation funéraire de l'édifice est également attestée par plusieurs inhumations en pleine terre réalisées à l'intérieur du bâtiment ainsi que dans l'enclos cimetérial qui se développe autour.

    Vers la fin du viie siècle ou au tout début du viiie siècle, ce premier édifice est transformé avec l'élargissement de la nef et la construction d'un choeur de plan carré. Un autel est placé au-dessus de la tombe privilégiée et plusieurs inhumations en sarcophages sont effectuées à l'intérieur de l'église selon des rangées parfaitement définies situées de part et d'autre d'une clôture matérialisant la séparation entre le chœur liturgique réservé au clergé et la nef. La construction d'un sanctuaire au cours du ixe siècle complète l'organisation liturgique à l'est. Les inhumations à l'intérieur de l'église se poursuivent sauf dans l'espace sacré que constitue le sanctuaire. A l'extérieur, un secteur dévolue aux sépultures d'enfants et d'immature est créé au chevet de l'église.

     

    Vestiges du chœur préroman et du chœur du xie siècle avec, au centre, la base de la colonne portant la table d'autel.
    (cliché : CRAHAM-INRAP – 2006).

     

     Charte du fonds de l'Abbaye de Savigny (1314)

     Archives départementales de la Manche
    (cliché : AVET)

    Charte du fonds de l'Abbaye de Savigny (1314)

     

    La création de l'AVET :

     

    En 1994, alors que les travaux de sauvegarde de la vieille église Saint-Pierre traînaient en longueur et que les actes de vandalisme se répétaient de plus en plus fréquemment, il devint indispensable et urgent de créer une association qui pourrait "bousculer" les diverses administrations impliquées dans les futurs travaux. C'est ainsi que l'association des "Amis de la Vieille Eglise de Thaon" vit le jour le 8 février 1994 grâce aux actions combinées de Monsieur Jean Leproux, déjà très impliqué dans diverses associations de sauvegarde du Bessin et de Monsieur Pierre Paunet, maire de Thaon. Monsieur Pierre Bouet, professeur de haute renommée à l'université de Caen Basse-Normandie, directeur de l'Office universitaire d'Etudes normandes (OUEN), instigateur de nombreux colloques et publications, accepta la vice-présidence. Sa présence au sein de l'association sera déterminante pour toutes les actions littéraires menées par l'AVET. Sa notoriété ouvrira bien des portes.

     

    Dès la création de l'association, le bureau a voulu que soit constitué un Comité de parrainage rassemblant des personnalités éminentes, soit du monde politique, soit du monde scientifique. Le Comité de parrainage de la vieille église est, à l'image du monument, célèbre en France et à l'étranger.cliché : AVET)

     

    Le Groupe Recherches :

     

    Deux fois par trimestre, une dizaine de membres de l'AVET se réunissent pour tenter de lever le voile sur les mystères qui entourent l'histoire de l'église Saint-Pierre de Thaon. Dans un premier temps, les chercheurs bénévoles ont rassemblé toutes les données qui, directement ou indirectement, pouvaient avoir quelque intérêt pour la connaissance de l'église et de ceux qui l'avaient édifiée ou fréquentée. Dans le même temps, ont été rassemblés tous les documents iconographiques qui concernaient la vieille église : dessins, cartes postales, photographies, tableaux, etc. Parallèlement, une couverture photographique est réalisée régulièrement par les bénévoles de l'association.

     

    Après cette première étape, le Groupe Recherches a été en mesure de commencer à rédiger un document en vue de publier un ouvrage sur l'histoire et l'architecture de cet édifice, accompagné d'une synthèse sur les résultats des fouilles archéologiques et anthropologiques, entreprises depuis 1998.

     

    Denier anglais en argent attribué à Guillaume ier (1066-1087) et frappé à l'atelier
    de Leicester en 1086 et 1087

    (cliché : CRAHAM – 2003).

     

    Ces différents espaces liturgiques et espaces d'inhumations sont conservés dans la première église romane construite dans les années 1086-1090 (mise au jour d'un dépôt de fondation ayant livré un denier anglais du roi Guillaume ier, des années 1086-1087) et dont le clocher est encore conservé en élévation. La travée sous clocher, choeur liturgique roman, est placée au-dessus du choeur de l'édifice antérieur et le sanctuaire, au centre duquel est placée une table d'autel, reprend quasiment le plan du sanctuaire préroman. A l'ouest, l'église est dotée d'une large nef à simple vaisseau.

    La nouvelle église édifiée à la fin du premier tiers du xiie siècle conserve également ces dispositions liturgiques, le sanctuaire étant décalé vers l'est dans la dernière travée du choeur rectangulaire. La nef, entièrement reconstruite, est élargie vers l'ouest et est dotée de bas-côtés permettant dorénavant l'organisation de procession à l'intérieur de l'édifice. C'est également à l'intérieur de l'église que des artisans fondeurs ont fabriqué une cloche dont les vestiges de deux moules viennent d'être mis au jour dans la nef.

     
     

    Les modifications qui interviennent par la suite n'apportent pas de grand changement à l'édifice si ce n'est, à la fin du xviie siècle ou au tout début du xviiie siècle, la suppression des deux bas-côtés, puis, au cours du xviiie siècle, le rehaussement du niveau du sol intérieur et la transformation du portail occidental.

     

    L'étude anthropologique

     

    Depuis le début de la fouille, 317 sépultures ont été identifiées à l'intérieur de l'édifice et dans ses abords immédiats. La fourchette chronologique dans laquelle s'inscrivent ces inhumations reste large (du viie au xviiie siècle) et les éléments de datation demeurent rares. Seuls les pots à encens caractéristiques des xiiiexive siècle et les carreaux de plate-tombe complets ou fragmentés (dernier quart du xiiie siècle et début du xive siècle) constituent des jalons chronologiques fiables. Le recours a des méthodes de datation physique par le radiocarbone apporte d'utiles informations pour les périodes les plus anciennes.

     

    Pot à encens des XIIIe - XIVe siècles
    (dessin : INRAP / cliché : CRAHAM).

     
     

    Les données de terrain fournissent déjà un premier aperçu des pratiques funéraires existant à Thaon et témoignent d'une répartition différentielle des sépultures en fonction de critères d'âge ou de sexe. Divers modes d'inhumation ont été observés. La plupart des sépultures sont en cercueil de forme trapézoïdale, orientés ouest-est avec une décomposition du corps s'opérant le plus souvent en espace vide ou en espace semi-colmaté avec, parfois, la présence d'un linceul. Dans l'ensemble, les limites des cercueils sont facilement identifiables grâce à la présence de traces ligneuses, de restes de bois marquant le pourtour de la fosse, de nombreux clous restés en position et matérialisant le couvercle, les parois latérales ou le fond du cercueil. Quelques exemples d'assemblage chevillé ont pu également être mis en évidence.

     

     

    Couverture en planches de bois assemblées de la sépulture 279
    (cliché : CRAHAM-INRAP – 2006).

     

    La représentation sexuelle des individus selon les secteurs a montré une disparité entre le choeur, la travée sous clocher et la nef. Si les sépultures du choeur appartiennent majoritairement à des hommes, la nef montre actuellement un déséquilibre en faveur des femmes alors que la travée sous clocher reste en parité égale. Plusieurs lieux d'inhumations préférentiels ont également été identifiés dans la nef ou à l'extérieur de l'église et semblent être réservés à l'inhumation de très jeunes enfants ou d'adolescents : l'un correspond à plusieurs petites fosses de périnataux en contact direct avec le mur du portail ouest, un autre se situe sous les gouttières au nord du choeur, le dernier se situe le long du mur nord de la nef actuelle avec la présence de fosses aménagées en pierres calcaires pour des tout-petits et de sépultures d'adolescent.

     

    Carreau de pavage utilisé dans une plate-tombe, orné des armoiries de la famille de Mathan
    (cliché : CRAHAM-INRAP - 2005).

     

    L'analyse anthropologique et paléopathologique exhaustive de la population inhumée a pour objectif principal l'identification sociale des individus ayant fait le choix de sépulture dans l'espace sacré d'un édifice religieux. L'étude approfondie des individus inhumés dans le choeur a notamment permis la mises en évidence d'un lien de filiation entre plusieurs des sujets, mais aussi de montrer que ces individus apparentés étaient liés par un mode de vie commun, avec une alimentation sans doute trop riche ayant eu de graves conséquences sur leur état de santé. Ces éléments vont dans le sens de l'hypothèse préalablement émise d'un lieu d'inhumation réservé à un groupe social favorisé, hypothèse d'autant plus plausible que les recherches menées par les membres du Groupe Recherches de l'AVET dans les registres des inhumations confirment que plusieurs membres des familles seigneuriales de Thaon ont été inhumés dans cet espace privilégié au cours des xviie et xviiie siècles.

     
     

    François Delahaye (CRAHM-INRAP)
    Cécile Niel (CRAHAM)
    avec Vanessa Brunet (CRAHAM)
    Résultats à l'issue de la campagne 2007.

    SOURCES  article : blog http://vieilleeglisedethaon.free.fr/Archeo_Anthropo.htm

     Association des Amis de la Vieille Eglise de Thaon
    Mairie de Thaon
    14610 THAON 

     
     

    Pour en savoir plus :

     

    - Delahaye F.- "L'Eglise Saint-Pierre de Thaon (Calvados) : Etude de l'édifice au xiie siècle", Archéologie Médiévale, t. xxxv, CNRS Editions, 2005, p. 51-71.

     - Delahaye F., Niel C., Alduc-Le Bagousse A., Blondiaux J.- "L'église Saint-Pierre de Thaon (Calvados) : Premières approches archéologiques et anthropologiques", dans : La Paroisse en Normandie au Moyen Age : la vie paroissiale, l'église et le cimetière, acte du colloque de Saint-Lô (28-30 novembre 2002) , Archives départementales de la Manche, 2008, p. 332-354.

     - Blondiaux J., Alduc-Le Bagousse A., Demondion X., Delahaye F., Niel C.- "Maladie hyperostotique et maladie goutteuse, une diathèse familiale en Normandie : Thaon, Calvados", dans Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, n.s., tome 19, 2007, 1-2, p. 7-20..

     - Bilans scientifiques régionaux, DRAC Basse-Normandie : 1998 (p.47-49), 1999 (p. 53-55), 2000, (p. 56-57), 2001 (p. 52-54), 2002 (p.57-58), 2003 (p. 50-52), 2004 (p. 60-62), 2005 (p. 85-87), 2006 (p. 64-66).

     

     

     

     

     

     

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