• La France au XVIe siècle par Jean Jolivet cartographe.

    Mots français d'origine francique

     

     

    Avant-propos -

    Héritage des Francs 

    L'essentiel de la culture héritée des Francs se trouve dans l'ouest de Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique (Flandre et Wallonie), au Luxembourg et dans le nord-est de la France tant dans l'architecture que dans la littérature ou les langues.

     

    • Un exemple frappant est l'architecture urbaine qui est restée proche de celle du Moyen Âge grâce aux Ernhaus que l'on retrouve dans de nombreuses communes de Thuringe, de Hesse ainsi que dans les régions du Rhin inférieur.
    • Les langues sont souvent présentes sous formes de dialectes substrats de l'allemand ou du néerlandais dont l'origine est la même que la langue jadis parlée par les Francs. Le francique peut être divisé en plusieurs sous-groupes, le bas francique (sud des Pays-Bas et Flandre), le moyen francique (Luxembourg,Communauté germanophone de Belgique, Sarre, Moselle, Rhénanie et Palatinat) et le francique méridional (nord de l'Alsace, nord du Pays de Bade et Hesse).

     

    Les mots réintroduits diffèrent des originaux parce que leur signification est plus spécifique et limitée.

     

    L'origine purement francique de certains mots est parfois discutée.

     

    Elle pourrait être germanique, bien que la différence n'est pas grande. Néanmoins, le néerlandais moderne compte pas mal de mots originaux qu'on ne retrouve pas en allemand.

     

    Pour le détail : on a compté plus de 750.000 mots en néerlandais, non compris les mots apparus depuis 1920.

     

    Ainsi le néerlandais compterait plus de mots que l'anglais.

     

    Pourtant, le nombre de mots d'origine étrangère est nettement plus limité qu'en anglais.

     

    Il est probable que les Francs avaient déjà une grande richesse de vocabulaire.

     

     

     

    Voici quelques mots que le français a emprunté à l'ancien francique, la langue des Francs.

     

    • ban et ses dérivés (bannir, banal) < ban, territoire soumis à une autorité, interdiction, déclaration publique
    • éperon < *sporo (ancien francique, cf. l'allemand Sporn)
    • hêtre < *haistr (ancien francique)
    • fauteuil < faldistôl (francique, cf. l'allemand falten « plier » et Stuhl « chaise »)
    • jardin < *gart ou gardo (ancien francique, cf. l'allemand Garten et l'anglaisgarden), « clôture », mais aussi « épine »…
    • heaume < helm (francique casque, cf. l'anglais helmet et l'allemand Helm)
    • marais < *marisk (ancien francique, cf. l'anglais marsh et l'allemand Marsch (land))
    • marque (de marquer) & marche (frontière)< *marka (ancien francique, cf. l'anglais mark et l'allemand Mark)
    • rang < *hring « anneau, cercle, assemblée militaire » (ancien francique, cf. l'allemand Ring)
    • harangue < *harihring littéralement « troupe, armée (hari) & assemblée (hring) »
    • trêve < *treuwa « contrat, convention » (ancien francique, cf. l'allemand Treue)
    • haubert < halsberg littéralement « cou (hals) & protection (berg) »
    • beffroi < bergfrid littéralement « veille, protection (berg) & paix (frid) »
    • bleu < blao (cf. l'allemand blau)

     

    Le francique moderne a un autre nom: le néerlandais. NL = mot moderne en néerlandais, D = mot moderne en allemand. (liste non exhaustive)

     

     

    • abandonner (de bannjan = bannir) NL, D = bannen, verbannen
    • astiquer (de steken = pousser, utiliser un bâton pointu, relaté à stakka)
    • NL = poetsen (faire briller) mais aussi steken, D = putzen (briquer)
    • bâtir, bastille (de bast = écorce, écorce de bouleau en lamelle, ficelle, matériel de construction) NL = bast (écorce) bouwen (bâtir), D = Bast (écorce) bauen (bâtir)
    • bière (de bera) NL, D = bier
    • blanc (de blinken = briller) NL = blink (cirage) blinken, D = blinken (luire)
    • bleu (de blao) NL = blauw, D = blau
    • bordure (de boord = bord) NL = boord
    • brun (de bruin) NL = bruin, D = braun
    • chic (de schikken = bien ranger, donc être valable) NL = schikken, D = schicken (adresser qc.) schicklich (bienséant)
    • choc, choquer (de scoc, schok = secousse) NL = schok, D = Schock
    • cresson (de kresso = plante signifiant nourriture) NL = waterkers, D = Kresse
    • dard (de darod = lance à jeter) NL = (mot disparu, cf. l'anglais Darts))
    • détacher, attacher, tailler, étal (de stakka = pieu, bâton pointu) NL = stok, D = Stock
    • écran (de scherm = protection) NL = scherm, D = Schirm
    • épieu, pieu (de speut = pointu) NL = spie, D = spitz
    • épier (de spieden) NL = spieden, D = spähen
    • escarmouche, escrime (de skirmjan = défence limitée) NL = schermen, D = schirmen
    • étale, étalage, étable (de stal = construction où l'on 'case' un animal) NL = stal, D = Stall
    • fief (de fehu, vee = troupeau de bovins) NL = vee, D = Vieh
    • fouquet (de fulko = écureuil) NL = eekhoorn (de eik = chêne, donc qui mange des glands de chêne /en anglais: acorn), D = Ecker
    • frais (de frisk, fris) Nl = fris, D = frisch
    • framboise (de braam bes = mûre + baie) NL = framboos (mot réintroduit)
    • fauteuil (de faldistôl = chaise stôl pliable faldi) NL = vouwstoel
    • galop(er) (de walalaupan, wel lopen = bien courir) NL = gallopperen (mot réintroduit), D = galoppieren
    • gant (de want) NL = want
    • garant (de warand, ware hand = vrai (et en) main) NL, D = garant (mot réintroduit)
    • garçon (de wrakjo = diminutif de wraker = tueur, donc: petit guerrier ) NL = jongen, D = Junge(n)
    • garde, gardien (de warding, dérivé de wachten = attendre, observer, surveiller, se tenir prêt) NL = wachter, D = Wächter
    • gaspiller, gaspillage (de wostjan, woest = rendre sauvage , sauvage) NL = woest (sauvage) verspillen (gaspiller), D = Wurst (sauvage) verspielen (gaspiller, perdre au jeu/la partie)
    • grappe (de greip, greep, grip = prise par une main, poignée) NL = greep (d'une main), tros (de raisins)
    • gris (de grîs, grau = brillant mais foncé) NL = grauw, grijs, D = grau
    • guerre (de werra, war = confusion) NL = oorlog (le mot war n'est qu'utilisé dans l'expression in de war = être confus), D = Wehr (barrage, défense)
    • haïr (de hatjan) NL = haten, D = hassen
    • hardi (de hard = dur, solide) NL = hard - le surnom de Charles, duc de Bourgogne, n'était pas "le téméraire" mais "le hardi"
    • honnir (de haunjan) NL = honen
    • jardin (de gaarden, dérivé de wachten (surveiller) = (plur.) les parcelles gardées, entourées d'une protection) NL = gaard, tuin, D = Garten
    • landes (de land= terre sableuse) NL, D = land (pays)
    • loge(r) (de laubja) NL = loge (mot disparu, mais réintroduit)
    • marche(r) (de marka = frontière, marque, marquer d'un pas) NL = merk, marcheren (mot réintroduit), D = marschieren (marcher)
    • marque (de marka = signe, signe d'une délimitation, frontière) NL = merk, D = Marke (marque)
    • marquis (de marka = région frontalière) NL = markgraaf (graaf = comte), D = Markgraf
    • maréchal (de marhskalk= gardien skalk des juments maren royales) NL = maarschalk (rang militaire), merrie (jument), D = Marschall
    • randonnée (de rant, rand = coté) NL = rand, trek (le voyage), D = Rand (coté)
    • rang (de hring = chaînon, anneau) NL = rang (mot réintroduit), NL, D = ring (anneau, route périférique)
    • saisir (de sakjan = revendiquer) NL = zaken (affaires) verzaken (renoncer), D = Sachen (affaires) entsagen (renoncer)
    • standard (de stand-hard = tenir debout fermement) NL, D = standard (mot réintroduit), stand, hard (dur)
    • trot(ter) (de trotton = mouvement de haut en bas) NL, D = trotten

     

     

    Les mots réintroduits diffèrent des originaux parce que leur signification est plus spécifique et limitée.

     

    L'origine purement francique de certains mots est parfois discutée.

     

    Elle pourrait être germanique, bien que la différence n'est pas grande. Néanmoins, le néerlandais moderne compte pas mal de mots originaux qu'on ne retrouve pas en allemand.

     

    Pour le détail : on a compté plus de 750.000 mots en néerlandais, non compris les mots apparus depuis 1920.

     

    Ainsi le néerlandais compterait plus de mots que l'anglais.

     

    Pourtant, le nombre de mots d'origine étrangère est nettement plus limité qu'en anglais.

     

    Il est probable que les Francs avaient déjà une grande richesse de vocabulaire.

     

     

    sources

    http://beornings.over-blog.com/pages/LES_FRANCS-1690103.html

     

     

     

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    Mutilation de l’Histoire de France :
    détruire le passé pour glorifier le monde nouveau

    (Histoire vraie » (Tome 1), paru en 1911)

     

     

    Voici un siècle, dans son oeuvre en 4 volumes intitulée Histoire partiale, histoire vraie, l’historien Jean Guiraud, spécialiste de l’histoire de l’Église et professeur d’histoire et de géographie de l’Antiquité et du Moyen Âge à l’université de Besançon, dénonce les erreurs et mensonges historiques que renferment les manuels scolaires :

     

    l’Histoire la plus généralement admise enseigne selon lui ce qui est faux, et induit un désamour de notre passé doublé d’une haine de l’Ancien Régime, afin de mieux glorifier une République

     

    « donnant au monde la paix et la liberté ».

     

     

    Aperçu des méthodes visant à mutiler le Moyen Age et la féodalité...

     

     

    Pour Jean Guiraud, la plupart des faiseurs de manuels d’histoire pèchent par une instruction superficielle qui leur a dispensé

     

    « quelques clartés de tout » sans leur permettre de rien approfondir et étudier par eux-mêmes, leur donnant à la fois un simple vernis de culture et une foi imperturbable en leur modeste bagage scientifique, fait uniquement d’emprunts et de connaissances livresques.

     

     

    De là une facilité toute particulière à se lancer dans des inductions dont ils ne soupçonnent pas la témérité ou la fausseté, une tendance fâcheuse aux généralisations les plus aventureuses, fruit naturel d’esprits simplistes et niaisement sûrs d’eux-mêmes.

     

    Compilateurs sans originalité, ils manquent d’un sens critique qu’on n’a pas cultivé au contact des textes ; et ainsi, leur documentation est faite sans discernement, selon le hasard, ou, ce qui est encore plus grave, d’après les passions politiques et religieuses du jour.

     

     

    Sous leur plume se pressent les affirmations les plus fantastiques et les assertions les plus naïves, d’un pessimisme farouche, quand l’époque décrite a le malheur de leur déplaire, d’un optimisme rêveur et béat, lorsqu’elle a la bonne fortune de leur agréer.

     

    D’un côté, aucun trait pour corriger d’une teinte claire la noirceur du tableau ; de l’autre, aucune ombre pour souligner la splendeur de l’ensemble ; ici le noir est sans mélange ; là on nage en plein azur !

     

    Le Moyen Age représenté comme une époque de misère et de désespoir
    Notre historien prend l’exemple du célèbre manuel d’histoire de l’époque édité par la librairie Delaplane, signé J. Guiot — professeur d’école normale, directrice de l’école annexe à l’école normale d’Aix — et F. Mane — professeur de septième au lycée de Marseille.

     

    Voyez quelle sombre description elle nous trace

    du Moyen Age, nous dit Guiraud :

    Page 81, du Cours supérieur, elle noue parle d’une

    « Marseillaise du désespoir entonnée par cent mille affamés ».

     

    Quelle était cette Marseillaise, où a-t-elle été chantée, quels étaient ces cent mille affamés ? M. Mane ne nous le dit pas, pour une raison bien simple, c’est que cette Marseillaise n’a existé que dans son imagination de Marseillais et que ces cent mille affamés sont aussi réels que la sardine monumentale qui, toujours à Marseille, bouchait jadis l’entrée du Vieux Port !

     

    Représentation du fléau de la famine au Moyen Age

    Page 35, du Cours moyen, Guiot et Mane nous décrivent la féodalité,

     

    « cette époque excessivement malheureuse..., cet affreux régime »

     

    où le seigneur est un guerrier brutal, cruel, ignorant (p. 36),

    foulant les moissons dorées (p. 37).

     

    Plus loin :

     

    « Le Moyen Age est l’époque des épouvantables famines ; alors sur les chemins les forts saisissent les faibles, les déchirent et les mangent !

    Quelques-uns présentent un fruit à un enfant, ils l’attirent à l’écart pour le dévorer ! »

     

     

    Représentation du fléau de la famine au Moyen Age

     


    Page 34, du Cours élémentaire, on lit :

     

    « Le seigneur est constamment en guerre, ses plaisirs sont cruels..., le Moyen Age est l’époque des affreuses famines : le paysan mange l’herbe des prairies, les forts saisissent les faibles, les déchirent et les dévorent..., bien peu d’enfants reçoivent l’instruction..., plaignons les écoliers ; ils sont constamment battus de verges (p. 35)...

     

    Que font ces enfants à l’école ? Tous pleurent ! »

     

    Et le résumé affirme gravement qu’ « au Moyen Age le sort du paysan est affreux : il vit dans l’épouvante et travaille gratuitement pour le seigneur..., dans les rares écoles les enfants sont constamment fouettés.!!

     

     

    Enfin le Cours préparatoire écrit (p. 30) :

     

    « Qu’il est triste le village d’il y a mille ans ! C’est la misère noire..., le paysan pleure et se désole à la vue du château qui lui rappelle qu’il est serf... Ses enfants ne lui appartiennent pas ; ils peuvent être vendus, le fils est séparé de son père, et la fille de sa mère. »

     

     

    A quel homme tant soit peu instruit, ou simplement à quel homme de bon sens fera-t-on admettre que les choses se passaient ainsi, « il y a mille ans » ?

     

    Dans quel pays, si déshérité qu’on le suppose, tous les enfants, sans exception, pleurent-ils dans les écoles, parce qu’ils sont sans cesse battus de verges ?

     

    Concevez-vous une école où le maître passe tout son temps — sans en distraire une minute — à fouetter les enfants et où tous les enfants sont uniquement occupés à pleurer ?

     

    Mais quand donc le maître enseignait-il ?

     

    Quand donc les enfants faisaient-ils leurs devoirs et récitaient-ils leurs leçons ?

     

    C’est ce que nous racontent Guiot et Mane : « tous les enfants pleurent..., parce qu’ils sont constamment battus de verges ! »

     

     

    Ce n’est pas de l’histoire de France, c’est plutôt une histoire de loup-garoudestinée à effrayer les petits enfants !

     

     

    A quel homme raisonnable fera-t-on croire que dans ce pays, que la poésie populaire du Moyen Age a appelé la « douce France », TOUS les paysans pleuraient devant le château du seigneur, comme leurs enfants sous le fouet du maître (que de larmes !), qu’ils ne se nourrissaient QUE D’HERBE et

    qu’ils étaient dépouillés de leurs fils vendus comme esclaves ?

     

    A qui fera-t-on croire que la France du Moyen Age était un pays de cannibales où les forts, au lieu de manger la viande des moutons ou des bœufs, absorbaient la chair des faibles, où, dès qu’un enfant sortait sur la route, on lui présentait une pomme pour l’attirer à l’écart, et le manger !

     

    C’est là une histoire d’ogres et non une histoire de France !

     

     

    Remarquez d’ailleurs que les documents protestent contre les traits d’un pareil tableau. Nous avons des inventaires de granges, de fermes, de maisons de paysans au Moyen Age.

     

    Le dénombrement de leurs provisions nous prouve qu’ils vivaient non d’herbe — à moins que ce ne fût, comme de nos jours, de la salade ! — mais de viande de mouton et de porc — plus rarement de bœuf — de veau quand on était malade, de salaisons, de poissons frais ou salés, et de légumes.

     

    Le château féodal

    Nous avons plusieurs lois des empereurs chrétiens du IVe siècle interdisant formellement de séparer un esclave de sa femme et de ses enfants.

     

    Quant à la famille du serf, un tout petit raisonnement aurait prouvé à Guiot et Mane qu’elle ne pouvait pas être dispersée par le seigneur, puisqu’elle était attachée à la glèbe, et que, par conséquent, s’il ne lui était pas permis de quitter la terre où elle vivait, on n’avait pas non plus le droit de l’en détacher, et d’en vendre isolément les membres.

     

     

    Enfin, M. Luchaire, professeur à la Sorbonne et membre de l’Institut, déclare avec raison dans la grande Histoire de France de Lavisse, qu’à la fin du XIIe siècle, c’est-à-dire en pleine féodalité, il n’y avait que peu de serfs et qu’en tout cas, ils ne devaient pas tout leur travail au seigneur.

     

    « On constate qu’au début du XIIIe siècle, les affranchissements individuels ou collectifs ont diminué beaucoup le nombre des serfs.

     

    Les terres, qui ont la malheureuse propriété de rendre serfs ceux qui les habitent, ont été graduellement absorbées par les terres libres.

     

    L’hérédité même du servage est atteinte.

     

    Des provinces entières, la Touraine, la Normandie, la Bretagne, le Roussillon, plusieurs régions du Midi semblent ne plus connaître le servage, ou être en très grande partie libérées.

     

    Dans les pays où il subsiste, par exemple le domaine royal et la Champagne, même quand les propriétaires ne se relâchent pas facilement de leurs droits, la condition servile est devenue moins intolérable.

     

    La taille arbitraire n’existe plus en beaucoup d’endroits ; le formariage, la main-morte sont souvent supprimés. Nombre de paysans ne sont plus soumis qu’à la capitation, impôt de trois ou quatre deniers. »

     

    Ainsi, au Moyen Age, la plupart des paysans étaient libres, les serfs étaient l’exception.

     

    Une ville au Moyen Age


    Le château féodal :


    Au XIVe siècle, le mouvement vers la liberté s’accentua dans des proportions considérables ; en 1315, Louis X affranchissait tous les serfs du domaine royal et de la Champagne qui avait résisté jusque-là au mouvement d’émancipation.

     

    Quant aux paysans libres, c’est-à-dire à la presque totalité de la population

    rurale !!

     

    « les concessions de privilèges et d’exemptions leur sont vraiment prodiguées

    (au XIIe siècle) par les seigneurs du temps de Louis VII et de Philippe-Auguste.

     

     

     

    C’est l’époque de la grande diffusion  de la charte de Lorris.

     

    A l’exemple de Louis VII et de son fils, les seigneurs de Courtenay et de Sancerre et les comtes de Champagne la distribuent assez libéralement aux villages de leurs fiefs.

     

    Même quand cette charte n’est pas octroyée intégralement et d’une manière explicite, son influence se fait sentir, surtout par l’abaissement du taux des amendes judiciaires, dans la plupart des contrats qui intervenaient alors, de plus en plus nombreux, entre les seigneurs et leurs paysans.

     

    « En 1182, l’archevêque de Reims, Guillaume de Champagne, concéda à la petite localité de Beaumont-en-Argonne une charte qui allait servir de modèle à la plupart des chartes d’affranchissement accordées aux localités rurales des comtés de Luxembourg, de Cheny, de Bar, de Réthel, et du duché de Lorraine.

     

    En Champagne, elle fit concurrence à la charte de Soissons et à la loi de Verviers.

     

    Elle ne donnait pas seulement aux villageois des franchises étendues, elle leur concédait une apparence d’autonomie, des représentants librement élus, les échevins, un maire et le libre usage des bois et des eaux... D’autres constitutions, moins répandues que celles de Lorris et de Beaumont, transformaient peu à peu l’état civil et économique des campagnes...

    Le village ne formait pas une personne morale, mais il était représenté par un maire. »

     

     

    (Histoire de France, Lavisse)

     

     

     

    Des paysans signant des contrats librement débattus avec leurs seigneurs, recevant d’eux pour leurs villages des constitutions et des chartes où leurs droits étaient nettement précisés, élisant leurs maires et s’administrant eux-mêmes, comme les habitants de nos communes, vivaient-ils sans cesse dans l’épouvante, comme l’écrivent Guiot et Mane ?

     

    Le seigneur avait-il tout pouvoir sur eux, et en particulier celui de leur saccager leurs moissons dorées ? Les documents disent précisément tout le contraire.

    Mais alors Guiot et Mane sont-ils des faussaires ?

    Certes non.

     

     

    Ce sont tout simplement des esprits insuffisamment renseignés qui ont généralisé des cas particuliers, en les grossissant démesurément par ignorance, excès d’imagination et passion.

     

     

     

    Ils ont trouvé, dans quelques histoires, des citations de Raoul Glaber ou de tel autre chroniqueur du Moyen Age, signalant, à une date donnée et dans tel pays, une famine ou même simplement un renchérissement des vivres, quelques actes criminels suggérés par la misère ; ailleurs, ils ont vu un seigneur abusant de son pouvoir et imposant à ses paysans des vexations arbitraires ou des impôts écrasants.

     

    Ils ont accepté ces faits sans les contrôler — car, en bons « primaires », ils manquent de critique — ils n’ont pas vu, par exemple, avec M. Gebhart — professeur de la Sorbonne et membre de l’Académie française — que Raoul Glaber avait une imagination débordante poussant tous les faits au drame, et que par conséquent, il faut se défier de ses affirmations.

     

     

    Bien plus, ces faits admis, ils ne se sont pas demandé s’ils étaient signalés précisément parce qu’ils étaient exceptionnels ; ils n’ont pas vu qu’ils avaient produit, sur l’esprit du chroniqueur qui les rapporte, une impression d’autant plus profonde qu’ils étaient rares et monstrueux. Et par une induction prématurée et dès lors antiscientifique, ils ont fait de l’exception la règle.

     

    Raoul Glaber cite comme un événement particulièrement abominable et inouï qu’un jour par misère un brigand a tué un homme et l’a mangé ; Guiot et Mane écrivent que, pendant tout le Moyen Age, tous les forts mangeaient les faibles et que les enfants qui acceptaient d’un passant un fruit étaient attirés à l’écart, dépecés et mangés sans poivre ni sel !

     

    Voilà la généralisation hâtive dans toute sa fausseté.

     

     

    Et voilà l’histoire qu’au nom de l’Etat, on enseigne de force aux enfants pour les délivrer de tout préjugé et libérer leur esprit !

     

    Méconnaissance du rôle de la féodalité dans l’évolution des sociétés
    La féodalité est parée de tous les défauts.

     

    Elle est tyrannique ; elle exploite par la violence le travail du peuple :

     

    « Le pauvre paysan, dit Calvet dans son Cours préparatoire, travaille toujours ; s’il refuse, on le met en prison, on le bat, on lui coupe le nez et les oreilles, on lui arrache les dents, on lui crève les yeux... Les rois protégeaient les pauvres gens à peu près de même que les bergers gardent les brebis du loup, pour pouvoir traire leur lait et vendre leur laine ».

     

     

     

     

    Il nous parle de serfs qui « se lassèrent d’être sans cesse pillés,

    battus, emprisonnés, pendus » ;

     

    il nous montre les marchands, tapis de peur dans leur ville et leurs sombres boutiques.

     

     

    Quant au paysan, disent Louis-Eugène Rogie et Paul Despiques, il vivait dans une cabane « dont les murs étaient faits de lattes entremêlées de torchis...

    le toit de chaume, le parquet de terre battue, le plus souvent sans fenêtre ».

    Aucun de ces auteurs ne se pose même cette question :

    « Comment un régime que l’on nous dit aussi affreux a-t-il duré plusieurs siècles ? »

     

     

    Une ville au Moyen Age /


    Encore moins nous exposent-ils la raison que nous en a donnée Taine : si dans toute l’Europe du Moyen Age la féodalité est restée puissante et a été acceptée pendant plusieurs siècles, c’est parce qu’elle répondait à une nécessité sociale, que cette organisation convenait le mieux à ces temps-là et que, pendant l’anarchie que les invasions et la dissolution de l’empire carolingien avaient déchaînée, les paysans et les habitants des villes avaient été heureux de trouver dans les seigneurs de puissants protecteurs, derrière les murs de leurs châteaux un asile, dans leur épée une sauvegarde pour la sécurité de leurs récoltes, de leur industrie et de leur commerce.

    Méconnaissance du rôle historique de la royauté

    La royauté est la négation de la République ! pour les républicains !

     

    les auteurs de manuels s’efforceront en conséquence de démontrer qu’elle a eu tous les vices, exercé toutes les tyrannies, qu’elle s’est opposée à l’instruction, faisant de l’ignorance la complice de son despotisme, explique Jean Guiraud.

     

    Dans un de ses exercices, M. Calvet demande à ses élèves de prouver qu’un « roi absolu à qui rien ne résiste est incapable de bien gouverner » (Cours élémentaire, p. 117),

     

     

    comme si des souverains absolus tels que Pierre le Grand en Russie, Frédéric II en Prusse, Henri IV en France n’avaient pas bien gouverné leurs Etats. Pour Brossolette,

    « Louis XI ne fut ni plus fourbe ni plus méchant que les princes ses contemporains »

     

     

    (Cours moyen, p. 143) ;

     

    ce qui revient à dire qu’au XVe siècle TOUS les princes sans exception  étaient fourbes et méchants, même quand ils s’appelaient le « bon roi » René.

     

     

    Pour nous faire connaître le « peuple sous Louis XIV », le même auteur, qui nous indique à peine d’un mot les efforts souvent couronnés de succès que fit Colbert pour diminuer les impôts par la réforme de la taille, trouve plus scientifique de résumer tout le règne en quatre faits mis en images :

     

    la révolte des Boulonnais contre les receveurs de l’impôt, une sédition à Rennes, une scène purement fantaisiste de famine, et l’histoire de M. de Charnacé abattant d’un coup de fusil un couvreur qui travaillait sur un toit.

     

     

    En admettant que tous ces faits soient exacts et que la royauté ait commis ou approuvé toutes sortes de crimes, écrit Guiraud, il est une vérité qui a son importance et que passent sous silence tous les manuels, sauf celui de Calvet, c’est qu’elle a fait la France.

     

    N’est-ce pas elle qui a réuni patiemment au domaine royal toutes les provinces qui s’étaient enfermées si longtemps en elles-mêmes ?

     

    Par un travail persévérant de plusieurs siècles, elle a reformé en une seule nation la poussière d’Etats qui était sortie du chaos des invasions, et donné à la race française, avec l’unité, la prépondérance politique et économique dans l’Europe du Moyen Age, sous saint Louis, dans l’Europe du XVIIe siècle, avec Louis XIV. Un pareil rôle ne méritait-il pas d’être rappelé ?

     

     

    Mais en le signalant, on aurait montré aussi la part qu’ont prise à la formation et à la gloire de la patrie des tyrans qui n’étaient ni révolutionnaires ni laïques ; on a préféré passer ces grands faits et mutiler l’histoire.

     

    SOURCES /  Mutilation de l’Histoire de France :
    détruire le passé pour glorifier le monde nouveau

     

    http://www.france-pittoresque.com/spip.php?article12686

     

     

     

     

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    Les premières poubelles

     

     

    Le ramassage des ordures ménagères à l’aide de poubelles est apparu à Angers il y a à peine plus de cent ans et n’a été généralisé qu’en 1931.

     

    Jusque-là, les ordures étaient disposées en tas dans les rues.

     

     

    De tout temps, le nettoiement des villes a été une préoccupation.

     

    Déjà en 1531, le roi François Ier prenait pour Paris une ordonnance afin que les déchets ménagers soient mis en paniers et ramassés tous les jours :

     

    décision restée sans suite.

     

    C’est le préfet Eugène Poubelle qui instaure à partir de 1884 pour chaque foyer parisien un système de trois boîtes à ordures ménagères, avec déjà un souci de tri sélectif :

    une pour les papiers et chiffons,

    une autre pour les matières putrescibles et

    la dernière pour le verre, les faïences et les coquilles d’huîtres.

     

     

     

    La poubelle, mesure prophylactique

    Les « poubelles » sont peu à peu adoptées par toutes les villes.

     

    À Angers, Le Patriote de l’Ouest publie le 28 juin 1898 une lettre d’un de ses lecteurs qui en préconise l’emploi :

     

    « L’hygiène des villes, qui n’est que l’extension de l’hygiène privée, ne paraît pas en grand honneur dans notre ville, qui serait cependant appelée à être une résidence charmante, si certaines précautions hygiéniques étaient observées.

     

     

    Une de ces précautions consisterait dans l’enlèvement des immondices dans des poubelles, au lieu de les laisser séjourner dans la rue. Ce mode de pratiquer cet enlèvement est non seulement appliqué à Paris, mais encore dans les principales villes de France ».

    En 1902, la Société des sciences médicales d’Angers émet le vœu que le système des poubelles soit employé comme il l’est à Paris, pour éviter la propagation de maladies contagieuses dues au séjour prolongé des ordures ménagères dans les rues.

     

    En effet, les habitants déposent leurs déchets devant la bordure des trottoirs dès le milieu de l’après-midi. Les tas grossissent le lendemain par suite du balayage des trottoirs et il est 11 heures du matin et parfois même 1 à 2 heures de l’après-midi qu’ils sont encore là à attendre le passage du tombereau à cheval…

     



    En février 1903, la commission municipale chargée du traité avec l’adjudicataire de l’enlèvement des ordures préconise elle aussi l’emploi des boîtes dites « poubelles ». Le règlement du 1er janvier 1904 concernant la propreté des voies publiques recommande certes de ne pas déverser sur la voie les ordures ménagères, cendres et résidus, mais de les renfermer dans des récipients, seaux, caisses ou paniers.

     

    Toutefois le dépôt en tas réguliers continue à être toléré et le terme « poubelle » n’est pas une seule fois employé.

     

     

     

     
    Tombereaux en usage à Grenoble. Arch. mun. Angers, 4 Fi 1735.

    Timides essais

    Il faut l’intervention de plusieurs personnalités de la ville pour que le conseil municipal autorise, à partir du 1er avril 1909, l’essai des poubelles, rive gauche seulement, dans le centre haut de la ville, de part et d’autre des boulevards.

     

     

    Cependant, contrairement à d’autres localités, il ne veut pas distribuer gratuitement de récipients normalisés.

     

    Les Angevins vont donc utiliser toutes sortes d’ustensiles dépareillés, ce qui n’a pas favorisé l’adoption complète du système avant longtemps…

     

    Au conseil de mars 1910, le conseiller Planchenault se plaint que certaines rues sont beaucoup plus sales qu’auparavant, du fait des poubelles renversées sur les trottoirs !

     

     

    Dans un article titré « Pour la propreté d’Angers »,

    L’Ouest du 20 octobre 1912 présente la photographie de poubelles modèles : « Combien de fois, indique son rédacteur, ne nous est-il pas arrivé d’entendre les étrangers de passage en notre ville exprimer leur étonnement de la malpropreté de nos rues et de la simplicité toute primitive de notre service d’enlèvement des boues et immondices !

     

    Le grand progrès qu’il faudra tout d’abord réaliser à Angers, c’est la création des poubelles. Dans l’un des projets soumis à l’examen de l’administration municipale, le concessionnaire s’engage à fournir une poubelle à chacun des 12 000 immeubles d’Angers ».

     

    L’article signale également les essais de ramassage des ordures par des camions automobiles.

     

    Mais les projets n’aboutissent pas.

     

    Les vieilles formules sont reconduites.

     

     

     
    Poubelles et voiture hippomobile proposées en modèle pour Angers par L’Ouest, « Pour qu’Angers soit propre », 20 et 21 octobre 1912.
     
    « Dans presque toutes les villes, la poubelle est obligatoire. Limoges, Tours, Nîmes, Orléans, Nancy partagent avec Angers la peu enviable pratique des tas d’ordures au milieu de la rue. Encore faut-il ajouter que Nancy est à la veille de rendre les poubelles obligatoires. »
     
     
     
     
    Clermont-Ferrand, Nice, Rennes, Rouen, Calais, Grenoble, Besançon, Toulon, Tourcoing, Vichy, etc. ont adopté les poubelles à couvercles et les tombereaux d’enlèvement clos ou bâchés.
     
    La plupart des municipalités ont usé d’un subterfuge pour faire plus facilement accepter à leurs administrés l’innovation de la poubelle ; le contrat passé avec la société chargée du service d’enlèvement des ordures oblige celle-ci à fournir gratuitement à chaque immeuble la première poubelle.

    De la poubelle au conteneur

    En 1926, les bennes automobiles sont encore rejetées comme trop coûteuses par le conseil municipal.

     

    Il préfère user de tombereaux hippomobiles à essieux surbaissés.

     

    Quant aux poubelles, elles ne deviennent obligatoires qu’à partir du 26 avril 1926, mais seulement à titre d’essai, dans un quadrilatère compris entre la rue du Mail, les boulevards de la Mairie et de Saumur, les rues Saint-Aubin, Chaussée-Saint-Pierre et Lenepveu.

     

    Ce périmètre est peu à peu étendu, en fonction de l’acquisition des nouveaux tombereaux à essieux surbaissés. En 1931, alors que chaque jour sont produites 50 tonnes d’ordures, l’emploi des poubelles est généralisé à toute la ville. On ne s’était pas aveuglément lancé dans le nouveau système de ramassage !

    L’histoire de la poubelle angevine, dans sa forme circulaire classique, est courte. Obligatoirement en plastique à partir du 1er octobre 1968, afin d’être insonore, elle est supplantée peu à peu à partir d’octobre 1976 par les sacs en plastique qui permettent de diminuer de moitié les tournées de ramassage.

     

     

    Dès le 1er mai 1978, 60 % de la ville bénéficie de la collecte en sacs.

     

    Mais en 1986, pour éviter d’en distribuer trop, la municipalité fait l’essai de conteneurs pour chaque pavillon dans le quartier du Lac-de-Maine, mesure généralisée en 1994.

     

     

    Depuis février 2011, nos poubelles sont traitées au nouveau Biopôle, suivant un procédé associant tri mécano-biologique et méthanisation.

     

     

    Sylvain Bertoldi
    Conservateur des Archives d’Angers

    (Vivre à Angers, octobre 2011)

     

     
    Tombereaux proposés par les établissements Moury frères,
    constructeurs à Orléans. Arch. mun. Angers, 4 Fi 1734.
     
     
    SOURCES
    http://www.angers.fr/decouvrir-angers/reperes/histoire-d-angers/chroniques-historiques/les-premieres-poubelles/index.html
     
     
     
     
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    l'HISTOIRE des TACHERONS.. LES TAILLEURS de PIERRE...

     

       Marques de Tacherons, compagnon du Devoir.

    On y distingue un compas et une équerre, non entrelacés, autour de la lettre K.

    Une estampille indiquait sur une autre partie du meuble le nom de l'artisan.

    Seules les dernières lettres sont lisibles : CKLE.

    Elles sont précédées de trois ou quatre autres lettres, illisibles.

    http://compagnonnage.info/ blog/blogs/blog1.php/2009/ 11/03/ marque-compas-equerre-ebeni ste

      

      

      

    l'HISTOIRE des TACHERONS.. LES TAILLEURS de PIERRE...

      

    Beaumont-du-Ventoux

    Franc-maçon : L’erreur serait à cet égard d’interpréter l’expression Franc-maçon comme impliquant une notion de franchise, c'est-à-dire un statut particulier. L’explication serait d’origine anglaise, en relation avec la terminologie concernant le métier des carriers, ceux qui extraient les pierres dans les carrières. On aurait distingué ceux qui travaillaient les roches plus tendres. Les premiers seraient les hard hewers, les autres les freestone masons. Les freestone masons seraient des sculpteurs tandis que les rough masons ne seraient que des tailleurs de pierre. Par contraction, l’expression serait devenue free mason, traduit en français lors de l’introduction de la franc-maçonnerie spéculative en France, en 1725, par franc-maçon. D’une manière générale, en terme de métier, on utilise encore le qualificatif « franc » pour désigner une pierre de bonne qualité ; On parle de « franc biais », de « franc banc », ou encore de coupe franche, de « bord franc ».Suivant les régions, de nombreux dessins tournent autour de sujets typiques : les sujets religieux : croix, église, I H S, etc; les représentations en rapport avec les métiers : instruments, bateaux, poisson, chaussure...

     

    IMPORTANT, à lire avant de regarder les photos.. pour mieux comprendre..

    http://www.ot-aiguesmortes .fr/FR/Tacherons.htm

     

     

     

    l'HISTOIRE des TACHERONS.. LES TAILLEURS de PIERRE...

     

     

    Une marque de tâcheron est un signe géométrique (voire une lettre ou un monogramme) gravé dans la pierre de taille

    par un tailleur de pierre.

    Autrefois, chaque tailleur de pierre possédait sa marque qui lui servait de signature de manière à recevoir son salaire à la fin d'une semaine de travail, en fonction du nombre de pierres taillées, les tailleurs de pierre étant payés à la tâche.

    Parfois, l'ouvrier a inscrit sa marque sur le manche de ses outils.

    Les marques de tâcheron ne doivent pas être confondu avec les signes conventionnels de reconnaissance des faces de la pierre de taille qui permettent de placer une pierre dans un appareil.

     

     

    l'HISTOIRE des TACHERONS.. LES TAILLEURS de PIERRE...

     


    Des marques de tâcherons pour des métiers sous la protection de Saints Patrons

    Au Moyen Age, l’habitude est de placer une action et en particulier un métier sous la protection d’un saint. Les maçons qui ont le triangle pour emblème, symbole de la Trinité, ont choisi pour patron un grand nombre de saints. Le plus caractéristique paraît être Saint Thomas souvent représenté avec une équerre, instrument de l’architecte qu’il aurait été au service d’un roi de l’Inde, au cours de son périple en Orient. On cite aussi Saint Blaise, Saint Etienne, à cause de sa lapidation, et même Saint Louis, bâtisseur de la Sainte Chapelle. Pour les tailleurs de pierres, c’est Saint Ambroise ou Saint Silvestre, le pape bâtisseur, qui étaient invoqués à côté des saints protecteurs des maçons.

     

     

     

    l'HISTOIRE des TACHERONS.. LES TAILLEURS de PIERRE...

     

     

     

    Dans le Languedoc, les confréries qui regroupent des gens de métier sous la protection d’un saint patron sont assez nombreuses et prennent un caractère nettement professionnel après 1250. Ce sont des groupements à caractère spirituel et moral visant à créer une solidarité de corps entre les membres, qu’il ne faut toutefois pas confondre avec les « confraternités » ou « conjurations » qui ont un caractère plus politique ou religieux que professionnel, étant œuvres de dévotion ou de charité. Une étude précise de ces différentes organisations dans le Languedoc médiéval fait apparaître que, si les corps de métiers sont dès le XIIIème siècle bien organisés à Narbonne, Béziers, Montpellier ou Nîmes, les tailleurs de pierres et maçons y apparaissent peu.

    Ce sont surtout les métiers de l’alimentation et du vêtement qui témoignent d’une certaine cohésion. Les maçons sont rarement cités dans les registres des diocèses d’Agde ou d’Albi et les tailleurs de pierres tiennent une place prépondérante dans l’activité des chantiers. Ce sont le plus souvent eux qui font office de maîtres d’œuvre et il leur arrive même de diriger plusieurs chantiers à la fois. Tel est le cas d’Eudes de Montreuil, architecte du roi, ou de Pierre d’Angicourt qui fut successivement tailleur de pierres, maçon, puis architecte principal de Charles d’Anjou qu’il suivit jusqu’à Naples.

     

     

     

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    Les marques de tâcherons

    Parmi les indices pouvant nous aider à mieux connaître ces milieux professionnels qui par le caractère secret de leurs associations demeurent d’une approche difficile, il faut compter en premier lieu ces marques qui apparaissent en grand nombre sur les pierres taillées qui ont servi à bâtir l’enceinte d’Aigues-Mortes. On s’est beaucoup interrogé sur l’origine et la signification de ces marques. Même si l’on en trouve dont l’inspiration peut-être religieuse, il faut y voir des marques permettant d’identifier l’auteur de l’ouvrage qui en garantit ainsi la qualité. Il semble bien que ce soit là la principale interprétation qu’il faille en donner. Il n’en reste pas moins que cette pratique comporte des implications adjacentes, sur lesquelles il convient de s’arrêter en raison de la complexité quelles laissent entrevoir.

     

     

     

    l'HISTOIRE des TACHERONS.. LES TAILLEURS de PIERRE...

     


    Il n’est guère douteux que ces marques aient eu une valeur professionnelle voire symbolique.

     

    On sait qu’elles se transmettaient de père en fils et qu’elles contribuaient à établir des sortes de filiations permettant sans doute à des ouvriers de se reconnaître par ces signes qui nous paraissent aujourd’hui naïfs ou mystérieux.

    On sait par ailleurs que ces marques permettaient d’effectuer le comptage en fin de journée en vue de procéder à la paie des ouvriers.

     

    En effet, dans les chantiers itinérants ou lorsqu’il fallait faire appel à un grand d’ouvriers pour un gros chantier comme Aigues-Mortes, on recrutait des ouvriers à la journée que l’on payait à la tâche.

     

    La cité est un exemple particulièrement signalé pour le nombre des marques observables.

     

    Dans les chantiers stables, comme ceux des grandes cathédrales du Nord, les équipes étaient plus sédentaires, les ouvriers mieux connus étaient payés à la journée et avaient moins de raisons de marquer leurs pierres.

     

    A Aigues-Mortes, les maçons auraient reçu pour l’achèvement des travaux de l’enceinte un salaire de quatre livres et dix sous par canne de mur construit, une canne

    valant environ 1.92m.

     

     

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    Marques de tâcherons sur une tour du château de Coucy, Picardie, France

     


    Du fait du caractère initiatique que ces marques tendent à conférer à la vie professionnelle et de la solidarité corporative qu’elles contribuent à renforcer par le code de reconnaissance secrète qui s’établit par ce moyen de chantier en chantier, on a parfois eu tendance à y voir un des signes génétiques de la franc-maçonnerie.

     

    On considère généralement qu’elle est une institution qui est apparue en Angleterre au XVIIIème siècle.

     

     

    Il est cependant vraisemblable que, dès le Moyen Age, les organisations spécifiques des gens de métier aient pu créer un esprit de corps dont on puisse dire qu’il a servi de point de départ à ce que l’on appelle la franc-maçonnerie.

     

     

    Cette évolution s’est faite en Angleterre. Il ne semble pas que l’on puisse en trouver des résurgences médiévales dans l’Europe méditerranéenne.

     

    l'HISTOIRE des TACHERONS.. LES TAILLEURS de PIERRE...

     

     

     



    Marque de tâcherons de l'Abbaye de Fountains, Angleterre


    Pour comprendre son nom, il faut le décortiquer.
     

     

    Le mot « tâcheron »
    désigne un personne travaillant à la tâche par rapport à la quantité de son travail.

     

     

    En clair, plus il produit, plus il est payé.

     

     

     

    Les « marques de tâcherons » sont donc les marques faites par les tâcherons dans le but de reconnaissance de son auteur et de calculer la production de celui-ci.

     

     

    A la fin de chaque semaine, les pierres étaient comptabilisées et on décernait les marques de chaque tailleur pour lui payer son dû.

    A défaut de retrouver ces marques sur les pierres, on pouvait également en trouver sur les outils des tailleurs.

     

     

    Ces petits détails gravés étaient très utiles et sont véritablement devenus une marque de fabrique .

     

     

    Marque de tâcheron sur le manche d'une polka


    --------------------------
    ◊ Formes et symbolique
    --------------------------


    •••••••••◊ Véritables symboles ◊•••••••••

    Bien que la plupart des marques soient faites de formes géométriques , on en retrouve aussi sous l’aspect de lettres ou de monogramme .
    L’évolution des signes est aussi à retenir.

     

    Il varie alors selon la région, la période, le chantier.
    Les formes sont imprégnées de spécificités locales.

     

     

    Tantôt faites d’incisions ou de griffures, tantôt faites de simple traçage à base de colorant qui ne résisteront que peu au temps.

    Plus tard, certaines de ces marques lapidaires seront associées à des symboles que l’on connaît pour des sujets positifs ou négatifs.

     

    Mais ils prendront pratiquement tous une nouvelle signification.

     

    Symboles répertoriés dans divers pays

     

     




     

     

    Il fallait surtout espérer que 2 tailleurs de pierres n’utilisent pas le même symbole !

     

    Du moins, pas sur le même chantier…!!

     

     



    D’ailleurs, en scrutant les sites de plus près, on peut en venir à se demander pour quelle raison on voit plus de traces sur certains sites, alors que sur d’autres ils sont quasi invisibles.
    Il faut se dire qu’à l’époque il existait des chantiers dits stables et d’autres itinérants.

     

     

    Dans les premiers, on rencontrait des ouvriers embauchés pour la totalité de la construction.

     

     

    Comme pour les chantiers des grandes cathédrales du Nord. Ils n’avaient donc pas vraiment le besoin de marquer leur travail.

     


    Contrairement aux chantiers itinérants, où l’on engageait parfois des tailleurs à la journée.

     

     

    La marque était le moyen le plus facile pour reconnaître leur taux de production.

    Mais certains chantiers s'approvisionnent chez les tailleurs des environs.

     

    Les pierres sont acheminées jusqu’au chantier et le marquage fera donc office de lot de fabrication et/ou de livraison.

    Chantier de construction


    •••••••••◊ Une histoire de famille ◊•••••••••

    Il est difficile de faire une étude sur ces marques.

     

    A vrai dire le métier de tailleur de pierres n’était que fort peu répertorié et il se faisait surtout en famille ou en confrérie.


    Ainsi, on on peut affirmer que la marque se transmettait de père en fils et qu’elle a crée tout un réseau local, voire national selon les voyages et chantiers entrepris.

     

    Tailleur de pierres
     

    En viennent alors les questions sur le côté secret de ce corps de métier.

     

    Où marques évoquent un caractère initiatique et une forme de solidarité corporative dont personne ne doit véritablement parler.

     


    C’est donc sans difficulté que l’on associa tout ceci à la Franc Maçonnerie.

    •••••••••◊ Protection des Saints ◊•••••••••

    Les mâçons ont choisis un grand nombre de saints pour représenter ou protéger leur métier. Régulièrement, on retrouve le triangle qui représente la Trinité, ou une autre représentation de l’équerre de Saint Thomas.



    Marque de tâcherons sur une tour du château de Coucy


    On pourra citer Saint Blaise, Saint Etienne ou encore Saint Louis

    (bâtisseur de la Sainte Chapelle).

     


    Mais rien n’y fait, chez les tailleurs de pierres on prie Saint Ambroise ou Saint Sylvestre (pape bâtisseur).

    Certaines confréries se créent sous l’image d’un Saint Patron et forment alors des groupes professionnels que l’on répertorie vers 1250.

     

     

    SOURCES http://mesnie-acre.forumactif.com/t46-les-marques-de-tacheron

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    Les tailleurs de pierre étaient des tâcherons. 

     

    Ils travaillaient à la tâche, c’est-à-dire qu’ils étaient payés en fonction de ce qu’ils produisaient. 

     

    Il fallait donc qu’en fin de semaine leur travail soit marqué afin qu’ils soient rémunérés proportionnellement à leur travail.  

     

     

    LES MARQUES DES TACHERONS

    Ils recevaient donc un salaire en fin de semaine en fonction du nombre de pierres taillées et installées. 

     

     

     

     

     

    Chacun se choisissait une « signature » sans équivoque, soit un signe géométrique, une lettre ou un monogramme.

     

     

    LES MARQUES DES TACHERONS

     

     

    Une marque de tâcheron est un signe géométrique (voire une lettre ou un monogramme) gravé dans la pierre de taille par un tailleur de pierre.

    Autrefois, chaque tailleur de pierre possédait sa marque qui lui servait de signature de manière à recevoir son salaire à la fin d'une semaine de travail, en fonction du nombre de pierres taillées, les tailleurs de pierre

    étant payés à la tâche.

    Parfois, l'ouvrier inscrivait sa marque sur le manche de ses outils.

    Les marques de tâcheron ne doivent pas être confondues avec les signes conventionnels de reconnaissance des faces de la pierre de taille qui permettent de placer une pierre dans un appareil.

     

    On sait qu’elles se transmettaient de père en fils et qu’elles contribuaient à établir des sortes de filiations permettant sans doute à des ouvriers de se reconnaître par ces signes qui nous paraissent aujourd’hui naïfs ou mystérieux. 

     

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    Il était gravé dans la pierre de taille par le tailleur de pierre.

     

    Parfois, l'ouvrier inscrivait sa marque sur le manche de son outil. 

     

    Les murs de pierre de l’ancienne prison de Blaye, réaffectée à un usage de boulangerie au XIXe siècle puis de musée aujourd’hui, conservent la signature visible des artisans qui la bâtissent en 1677.

    Plus de quatre cent ans après l’édification de la citadelle et de ses bâtiments, il est difficile d’évaluer le travail que ce vaste chantier peut représenter, le nombre d’ouvriers employés ainsi que le volume et le poids de la pierre taillée à la main par des artisans.

     

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    On en rencontre un peu partout sur les édifices religieux, les châteaux et les forteresses, comme sur les fortifications de la muraille construite par Philippe Auguste entre 1190 et 1220. 

     

    LES MARQUES DES TACHERONS

     

     

    Sur les vestiges situés rue des Jardins Saint Paul dont la tour Montgomery, on en trouve de nombreux, Z, croix, flèche, N inversé. 

     

    L'étude des marques de tailleurs de pierre s'appelle la glyptographie

     

    Les marques de tâcheron ne doivent pas être confondues avec les signes conventionnels de reconnaissance des faces de la pierre de taille qui permettent de placer une pierre dans un appareil.

     

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    Les photos des marques de tacherons ont été prises sur les vestiges

    de la Muraille Philippe Auguste, rue des Jardins-Saint-Paul, Paris 4ème. 

     

    Liens

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    La Muraille Philippe Auguste, est un circuit au cours duquel des marques de tacherons peuvent être recherchées et vues.

     

    Dans la catégorie Inclassables, vous pouvez retrouver d'autres articles sur des sujets généraux.

     


    Cet article fait également partie de : Paris InsoliteSources
    Wikipedia
    Curiosités parisiennes
    Photos R.Desenclos 2014

     

    Sources / http://www.paristoric.com/index.php/paris-d-hier/marques-et-plaques/92-les-marques-des-tacherons

     

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  • La Queue du diable
     
    LA QUEUE DU DIABLE
    Conte du Bocage Normand
    par A. Almagro
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    Lecteur bénévole et charmante lectrice, je viens vous raconter une histoire qui vous semblera peut-être un conte, tant elle est invraisemblable, mais qui doit être vraie de tout point, car je l’ai tirée d’un recueil d’anciennes légendes, et je suis persuadé que le pieux anonyme qui nous les a transmises pour notre instruction et notre édification était un homme véridique, qui n’aurait jamais voulu compromettre le salut de son âme en cherchant à nous faire prendre les vessies pour des lanternes.
     
     
     
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    La légende étant écrite dans un style vieillot et peu intelligible, je me suis dit qu’il serait utile de lui donner une forme plus jeune et de la traduire dans le style du jour ; et c’est ici qu’a commencé mon embarras.
     
    Quel genre de style devais-je adopter ?
     
    Le genre sentimental, vaporeux et nuageux ?
     
    Il est quelque peu démodé et j’aurais ennuyé mes lecteurs qui ont bien assez de sujets d’ennui. Le genre réaliste ?
     
    J’aurais fait rougir les dames.
     
    Un instant je me suis arrêté à l’idée de recourir au genre décadent, aujourd’hui fort en vogue et qui se glisse comme un serpent sous la prose fleurie de maint auteur de talent.
     
     
    En mettant mon esprit à la gêne, je serais parvenu, moi aussi, à trouver de ces phrases péniblement niaises, de ces tours inattendus et de ces locutions extravagantes, qui font les délices du décadent qui les écrit et causent au profane qui ose les lire un étonnement voisin de la stupéfaction.
     
     
     
    Toutefois, si séduisant que fût ce projet, j’ai dû y renoncer par crainte qu’on ne crût que je parlais charabia, ce qui m’eût profondément humilié.
     


    Tout bien pesé, j’ai pris le parti de revenir au chemin battu, qui est le bon, et de me servir du style pédestre, simple et uni, parlant comme tout le monde pour que tout le monde me comprenne.

    Ceci dit en guise de préface, j’entre en matière.


    I

    Il y avait une fois, au pays bas-normand, une veuve et sa fille qui vivaient pauvrement dans une pauvre maisonnette, aux murs de torchis et au toit de chaume, comme toutes celles de la campagne d’alentour.
     
     
    Une petite vache, des poules, un cochon, sauf votre respect, un courtil peu étendu, un jardinet et quelques pommiers formaient tout leur avoir, auquel s’ajoutait le mince produit de leurs fuseaux qui tournaient, tournaient sans cesse.
     
     
     
     
     
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    Grâce aux indications de l’anonyme, je puis préciser l’endroit où s’élevait la maisonnette de la veuve ; c’était dans l’un des hameaux qu’on voit éparpillés à travers la verdure sur les pentes méridionales du mont de Cérisy, à une faible distance de la célèbre abbaye de Belle-Etoile et à quelques milles des murs de Tinchebray, qui, soit dit en passant, était alors une petite ville assez malpropre, mais ne fut à aucune époque une caverne de voleurs, ainsi qu’on l’a faussement prétendu.
     
     
     


    Notre veuve portait gaillardement ses cinquante-cinq hivers.
     
     
    Elle n’avait rien d’attrayant, je dois le confesser ; elle était longue et maigre comme le carême, laide comme le péché et mauvaise comme la lèpre ; quant à son caractère, c’était le plus maussade, hargneux et acariâtre que le ciel eût jamais créé dans son juste courroux.
     
    On l’avait surnommée la mère Rabat-Joie, parce que sa seule présence suffisait pour rabattre et éteindre toute joie et tout contentement.
     
     


    Son mari, qu’on appelait le père Mathieu, succomba à dix de mariage qui furent dix ans de lente torture ; il expira en bénissant la mort qui le délivrait de sa femme.
     
     
     
    Le curé de la paroisse était très attaché au père Mathieu qui avait été son chantre et son sacriste ; il annonça en chaire qu’il dirait un certain nombre de messes pour le repos de cette âme en peine ; mais le père Mathieu revint tout exprès de l’autre monde pour le prier de n’en rien faire, assurant qu’il n’avait besoin de rien, que son âme était en repos et qu’il était allé tout droit en paradis, ayant fait son purgatoire ici-bas.
     
     


    Si la mère Rabat-Joie fut méchante et dure envers son mari, on s’imagine aisément qu’elle ne le fut pas moins envers sa fille, laquelle avait nom Mariette et semblait  prédestinée au même sort que son père.

    Mariette était alors dans tout l’éclat et toute la fraîcheur de la jeunesse.
     
     
     
    Elle était bonne comme la manne du ciel, belle et radieuse  comme une aube de mai, chaste et pure comme le lis du vallon, modeste, recueillie et obéissante comme une nonne ; avec cela très dévote à la bienheureuse Vierge Marie, à l’archange saint Michel, vainqueur du démon, et aux saints Anges, gardiens et protecteurs de sa vertu.
     
     
     
     
     
    Sa bonne grâce, son air candide et son angélique patience lui avaient gagné tous les cœurs ; chose à peine croyable : elle n’avait jamais donné le moindre signe de coquetterie. Bref, elle était, au physique et au moral, tout l’opposé de sa mère, et l’on se demandait par quel caprice ou quel prodige de la nature une si vilaine chouette avait pu mettre au monde une si douce, tendre et innocente colombe.
     
     
     
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    Dans l’opinion du peuple Mariette passait pour une sainte, une vraie sainte du paradis, ce qui alors n’était point rare, mais ne se voit plus depuis longtemps.
     
     
     
    Cette auréole de sainteté, loin de toucher l’âme de son odieuse mère, ne fit que l’exciter à redoubler de mauvais traitements. Grondée, accablée d’injures, souvent battue, la pauvrette souffrait en silence, offrant ses peines au Seigneur en expiation de fautes qui n’étaient pas les siennes.
     
     
     
    Tandis que d’autres jeunes filles, fières de leur bonheur, traversaient joyeusement la vie, la chanson aux lèvres et le front couronné de roses et de myrte, elle s’y traînait douloureusement, courbée sous sa lourde croix et le front couronné d’épines.

     
     
     
     
    Parmi les jeunes gens les plus huppés et les plus riches de la contrée, plus d’un, ému de son malheur et séduit par ses charmes, eût volontiers tenté de l’arracher à son dur esclavage en se l’attachant par les liens de l’hyménée ; plus d’un même fut assez téméraire pour aller demander sa main.
     
     
     
    Mais la mère Rabat-Joie rabattit leur ardeur amoureuse ; l’accueil fut si brutal qu’ils durent fuir à toutes jambes et s’estimèrent heureux d’avoir sauvé leurs yeux des griffes du monstre.
     
     
     


    Cet exemple refroidit le zèle des autres prétendants qui, de guerre lasse, renoncèrent à une poursuite par trop dangereuse. Evidemment, pour dompter ou endormir le dragon redoutable qui veillait à la garde d’un si précieux trésor, il n’eût fallu rien moins que le diable, le diable lui-même.
     
    La jeune victime fut donc abandonnée à son triste sort et se vit irrévocablement condamnée à mourir vierge et martyre.
     
     
     


    Mariette était aussi laborieuse que bonne ; c’était une excellente ménagère et une fileuse incomparable. Entre ses doigts de fée le chanvre disparaissait si vite que les gens du pays croyaient que les anges descendaient du Ciel pour l’aider à filer sa quenouillée. Elle était propre, soigneuse, et lorsqu’elle ne filait pas, on la voyait vaquer avec ardeur aux soins multiples du ménage : elle cousait, lavait, repassait, nettoyait la maison, apprêtait les repas, trayait la petite vache, sa seule amie dans cette solitude, battait le beurre et en faisant de si exquis qu’il eût pu figurer sur la table du pape.
     
     
     


    Sa mise était toujours d’une extrême simplicité ; pas de colifichets, ni de parures, ni aucun de ces riens coûteux, inventés pour la perdition des femmes. Elle ne paraissait jamais aux assemblées ; elle n’allait à aucune noce, quoiqu’elle en fût souvent priée. Sa seule sortie était pour se rendre à l’église, où elle priait avec une ferveur exemplaire. Notre siècle corrompu ignore, hélas ! ces vertus simples et rustiques.
     
     
     
     
    La perversité des villes a envahi les campagnes et en a altéré les traditions et les mœurs.
     
     
     
    L’innocence primitive s’est enfuie, la face voilée, vers d’autres sphères, et le mal, qui jadis était partiel et passager, est devenu général et durable. Il est aisé de voir que nous approchons de la fin du monde.
     
     
     
     


    Un soir, à la veillée, Mariette préparait le souper et étendait la pâte grise de sarrasin sur la galettoire de terre cuite que chauffait un feu clair. Ce n’était pas la galette du riche, mince, légère, où abondaient le beurre et les œufs frais, mais la galette du pauvre, lourde, massive, sans œufs,  et presque sans beurre.
     
     
     
     
     
    Le matin, un amoureux s’était présenté ; il fut reçu, cela va sans dire, en ennemi, et ce fut un miracle s’il ne laissa pas sa peau sur le champ de bataille.
     
     
     
    L’humeur de la mère Rabat-Joie s’en était ressentie ; ce n’était plus du vinaigre, c’était du vitriol.
     
     
     
    Mariette fut injuriée tout le jour et souffletée à plusieurs reprises ; comme si c’était un crime pour une jeune fille charmante et malheureuse d’inspirer la pitié et l’amour !
     
     
     


    Le soir, l’orage grondait encore et la grêle menaçait toujours. Mariette tremblait comme la feuille ; sa main était mal assurée et, en voulant retourner la galette, elle la laissa maladroitement tomber dans les cendres.
     
     
    A la vue de cette catastrophe, la mégère pousse un cri de rage. « Coquine, hurle-t-elle, ribaude, dévergondée, tu n’en fais jamais d’autres ; je voudrais que le diable t’emporte ! » Et elle répète par trois fois d’une voix stridente :
     
     
    « Oui, je voudrais que le diable t’emporte ! »
     
     


    Fatale imprudence ! Par le plus grand des hasards, à cet instant même, le diable rôdait aux alentours, étant venu dans le pays pour aider un baron de ses amis à délivrer une jolie nonnain enfermée contre son gré dans un moutier du voisinage.
     
     
     
    Le cri de la mère Rabat-Joie, retentissant dans les ténèbres, parvient à son oreille ; il reconnait sa voix, entend son vœu impie et fait un bond de joie si violent qu’il casse comme un fêtu, avec son crâne, une grosse branche de pommier sous laquelle il passait à ce moment.
     
     
     
     


    D’ordinaire il ne prêtait aucune attention aux souhaits de cette sorte ; s’il lui fallait emporter tous ceux dont on lui fait don ou qui se donnent à lui, son temps si précieux n’y suffirait point. Mais cette fois le cas est bien différent ; il ne s’agit pas d’une proie vulgaire ; il s’agit bel et bien d’une sainte, d’une véritable sainte.
     
     
     
     
    Quel triomphe pour ce maudit si, à la barbe du Tout-Puissant, il emportait une sainte au séjour des damnés ! Tout l’enfer serait dans l’allégresse et l’on devine sans peine ce que peut être l’allégresse de l’enfer.
     
     
     
    Les gazetiers de là-bas lui consacreraient des articles élogieux et menteurs où l’enthousiasme déborderait à tant la ligne ; les poètes lui dédieraient des strophes enflammées ; les hauts dignitaires lui liraient des adresses et baiseraient avec respect ses pieds de bouc ; les garde-chiourmes l’acclameraient à grand bruit de chaînes ; on lui élèverait des arcs-de-triomphe faits d’ossements humains, et sa gloire éclipserait celle des plus fameux conquérants, qu’il connaissait tous intimement, puisqu’ils logeaient chez lui.
     
     
     


    Pour dire le vrai, il se méfiait de la mère Rabat-Joie. Elle ne lui était pas inconnue et il ressentait même pour elle de l’estime et de l’amitié, à preuve qu’il lui réservait une chaudière d’honneur ; mais enfin il s’en méfiait et ne comptait guère qu’elle accomplit religieusement sa promesse. Il comptait plutôt sur lui-même et sur l’abondante provision de ruses, de pièges et de stratagèmes qu’il portait toujours dans son bissac.
     
     
     
    Aussi, sans s’amuser aux bagatelles, conçut-il sur-le-champ un projet machiavélique et diabolique qu’il n’allait pas tarder à mettre à exécution et dont nous verrons plus loin les fâcheuses suites.
     
     
     
     


    Le roi des damnés avait raison de se méfier de la mère Rabat-Joie, car elle ne songeait nullement à lui livrer sa fille, laquelle, après tout, était le sang de son sang et la chair de sa chair.
     
     
     
    Elle avait été trop vive, c’est évident, elle avait parlé sans réfléchir, dans un accès de colère.
     
     
     
    La visite intempestive de l’amoureux, puis la vue de la galette renversée dans les cendres l’avaient mise hors des gonds et lui avaient fait oublier les règles de la civilité ; mais un chrétien n’est pas tenu d’accomplir une promesse imprudente.
     
     
     
    Jarnicoton ! donner sa fille à Satan ! Jamais de la vie.
     
     
    Et qu’il ne s’avisât pas de venir la réclamer, car, foi de normande, elle lui casserait les cornes.
     
     


    A cet endroit du récit, l’auteur anonyme de la légende, qui était très probablement un moine de l’abbaye  de Belle-Etoile et paraît avoir beaucoup connu la mère Rabat-Joie, entre à son sujet dans des détails curieux et instructifs dont je me ferais un scrupule de priver mes lecteurs.
     
     
     
    A l’en croire, la veuve du père Mathieu était une femme de principes austères auxquels elle conformait tous ses actes, et elle avait des idées très personnelles sur une foule de questions. Elle en avait, par exemple, sur l’éducation des filles et avait imaginé un système éducatif qui reposait tout entier sur l’antique maxime :
     
     
     
    Qui aime bien, châtie bien. Elle prenait la maxime à la lettre et appliquait son système dans toute sa rigueur. C’est parce qu’elle aimait sa fille qu’elle la châtiait sans l’ombre d’une raison, et c’est parce qu’elle l’aimait beaucoup qu’elle la châtiait sans miséricorde.
     
     
    Qui aime bien, châtie bien. C’était logique, mais très désagréable pour la pauvre Mariette.
     
     


    Ses idées sur la propriété n’étaient pas moins dignes de remarque. « Ma fille, disait-elle, est ma propriété, mon bien, ma chose, puisque c’est moi qui l’ai faite (elle oubliait le père Mathieu, mais passons). Quiconque, sous prétexte de mariage, s’introduit chez moi et cherche à me la ravir, attente à ma propriété ; c’est un voleur, un pirate, un scélérat, et je lui briserai les reins, jour de Dieu ! Au surplus, ajoutait-elle, je ne veux pas qu’elle se marie, et elle ne se mariera pas, car tel est mon bon plaisir.
     
     
     
    On est mère ou on ne l’est pas. » C’est ainsi que la mère Rabat-Joie comprenait la propriété ; il est douteux que les prétendants à la main de Mariette la comprissent de la même façon.

    L’opinion qu’elle professait sur les hommes en général était tout à fait singulière. Pour elle l’humanité n’était qu’une immense fourmilière de petits êtres vicieux, difformes et ridicules qui passaient tout leur temps à se contredire et à s’entre-dévorer.
     
     
     
    C’était une espèce plus nuisible qu’utile et dont la perte affligerait plutôt le diable que le bon Dieu.
     
     
    Conclusion : l’humanité est haïssable, il faut la haïr ; et toujours conséquente, elle détestait cordialement l’humanité qui le lui rendait avec usure.
     
     
     


    Mais ce qu’elle détestait par-dessus tout, c’était le diable ; elle lui avait juré une haine farouche, implacable ; il était sa bête noire et son cauchemar. Dans ce sentiment il entrait de la jalousie de métier et une peur atroce d’aller bouillir dans la grande chaudière.
     
     
     
    Autant elle exécrait le diable, autant, par une conséquence naturelle, elle admirait et révérait l’archange saint Michel qui l’avait combattu et vaincu.
     
     
     
    Il existait dans sa paroisse une confrérie d’hommes qui avait saint Michel pour patron et qui chaque année accomplissait un pèlerinage au mont béni où trône le glorieux archange. La mère Rabat-Joie ne manquait jamais d’en faire rapporter par quelque pèlerin des médailles de plomb à l’effigie du saint et de menus objets de piété qu’elle conservait comme un talisman.

     
     
     
     
    Cette confrérie possédait sa chapelle dans l’église paroissiale, avec un autel spécial surmonté d’un groupe, œuvre d’un moine sculpteur de l’abbaye de Belle-Etoile et qui représentait saint Michel terrassant le démon. Rien de si noble, de si animé et de si harmonieux que ce groupe où le génie de l’humble religieux avait mis comme un souffle de vie.
     
     
     
    Le guerrier céleste se dressait superbe, faisant flamboyer dans sa main l’épée vengeresse, tandis que l’éternel révolté se tordait en rugissant sous son pied vainqueur.
     
     
    Des cierges brûlaient devant la sainte image, et la mère Rabat-Joie y avait toujours le sien.
     
     


    C’est là qu’elle venait faire ses dévotions accoutumées, profitant du moment où l’église était déserte, afin, disait-elle, d’avoir moins de distractions. Agenouillée devant l’autel, elle priait d’abord le saint longuement et avec humilité ; puis, sa prière faite, elle sautait sur ses pieds et, menaçant du poing le démon, elle l’apostrophait ainsi :
     
     


    « Vilain sire, tu es laid comme Judas Iscariote, noir comme la conscience d’un procureur, barbu comme un bouc, cornu comme un mari trompé, et tu portes des griffes sales et crochues que t’envierait un usurier juif.
     
     
     
    Tu fais une grimace aussi drôle que celle du braconnier Jean Le Borgne, que les archers emmenèrent et que je vis pendre à Domfront. Tu es plus méchant que moi, vieux loup-garou. Je voudrais te voir rôtir à la broche dans ta cuisine d’enfer et je t’arroserais de grand cœur avec du plomb fondu.
     
     
     
    Si je te tenais, bandit, canaille, hérétique, je t’arracherais la queue, je t’arracherais les griffes et les cornes, puis je te tordrais le cou comme à un poulet. Ainsi soit-il. »

    Le démon ne répondait pas, et la mère Rabat-Joie, ayant débité son chapelet d’injures qu’elle appelait l’oraison au diable, s’en retournait triomphante et satisfaite.


    II

    Peu de temps après la soirée orageuse où la mère Rabat-Joie entra en si belle fureur et fit si beau tapage pour une galette mal retournée, il vint au pays un étranger qui excita partout sur ses pas la plus vive curiosité.
     
     
     
    C’était un de ces chanteurs nomades, connus sous le nom de trouvères ou troubadours et qui s’en allaient de ville en ville et de château en château, déclamant ou chantant leurs vers où ils célébraient les exploits des preux et la beauté des dames.
     
     
     


    Celui-ci n’avait pas la mine famélique ni le costume râpé de ses confrères ; on l’eût pris plutôt pour un gentilhomme. Il était grand, élancé, d’élégante tournure, avec des traits expressifs, un teint bistré et comme brûlé, une barbe rousse en pointe et des yeux dont on avait peine à soutenir l’éclat. Son accoutrement était aussi riche que fantastique ; tout y était rouge, depuis la fine chaussure de cuir de Cordoue jusqu’à la toque de velours que surmontait une plume écarlate.
     
     
     
    Par un singulier caprice, cette toque était comme soudée à son front ; jamais on ne le vit tête nue. Il fut surnommé l’Homme-Rouge, et lorsqu’il s’avançait d’un pas rapide et que le vent secouait les rouges plis de son manteau, on l’eût cru enveloppé de flammes.

    Il jouait de tous les instruments et chantait agréablement d’une voix vibrante qui avait quelque chose de métallique.
     
     
     
    On avait remarqué que jamais il ne franchissait le seuil d’une église ni d’un lieu consacré, et l’on en conclut qu’il devait être maure ou païen ; bien certainement il n’était pas juif, car il se montrait large jusqu’à la profusion et généreux jusqu’à la prodigalité.
     
     
     
     
    On en fut quelque peu surpris, les disciples de la gaie science n’ayant pas l’habitude de rouler sur l’or : art et pauvreté sont frère et sœur.
     
     
    Du reste, quelle que fût la source de ses richesses, qu’elles vinssent du ciel ou de l’enfer, le fait est qu’elles lui attirèrent une grande considération et lui firent de nombreux amis.

     
     
    On ignorait son nom et sa patrie.
     
     
    Aux curieux qui l’interrogeaient sur ce dernier point, il se contentait de dire que son pays était très loin, très loin, qu’il y faisait très chaud, très chaud, qu’on y arrivait par des routes fleuries, que les gens de toute condition s’y précipitaient par milliers et qu’aucun n’en sortait, tant ils s’y trouvaient bien. Ceux qui l’écoutaient auraient voulu vivre dans ce pays-là.

     
     
     
    Quoiqu’il fût, à n’en pas douter, de haute origine, il n’avait pas de morgue et frayait familièrement avec tout le monde. Il avait un entrain endiablé et de l’esprit comme un démon. Il buvait aux assemblées autant que quatre normands et n’en était pas plus gris ; il dansait ou faisait danser des journées et des nuits entières et n’en était pas plus las ; il restait à table, selon l’us et coutume de Basse-Normandie, huit heures consécutives et n’en était pas plus repu. C’était le boute-en-train de toutes les fêtes, de toutes les noces, et il n’y avait pas de bonne partie sans le gai et amusant compagnon qui s’appelait l’Homme-Rouge.

     
     
     
     
    Il advint sur ces entrefaites que le seigneur de Briouze songea à marier sa fille, jolie personne, quoique boulotte et marquée de taches de rousseur ; le prétendu était un grand benêt dont le père, autre seigneur du voisinage, n’en ayant pu rien faire, avait pris le parti extrême de le marier dans l’espoir que sa femme en ferait quelque chose. Le seigneur de Briouze était de la première noblesse, car il se vantait de descendre du bâtard d’un bâtard de je ne sais quel duc de Normandie ; il était très instruit, à preuve qu’il savait lire et signer son nom. Il avait un beau château, une belle meute, de beaux étangs et de beaux domaines tellement vastes, qu’il s’y perdait chaque fois qu’il allait les visiter. Mais ce qu’il avait de plus beau, c’était son bourg de Briouze.
     
     


    Ce n’est pas que les chemins qui y menaient fussent moins effondrés que partout ailleurs, ni les masures moins sordides, ni les échoppes moins puantes.
     
     
    Sa beauté consistait dans la façon originale et neuve dont les habitations étaient groupées.
     
     
    D’ordinaire, lorsqu’un bourg se bâtit, les maisons se rangent tant bien que mal le long des chemins et finissent par former des rues et des places.
     
     
     
    A Briouze rien de pareil : ni places, ni rues ; les maisons étaient jetées çà et là à travers le terrain, se présentant sous toutes les faces, les unes par devant, d’autres par derrière, d’autres de côté, dans la plus complète indépendance et sans le moindre souci de la géométrie.
     
     
     
    On eût dit qu’elles étaient tombées du ciel et qu’elles s’étaient fichées dans le sol au hasard de la chute.
     
     
     
    Depuis lors la civilisation a passé par là, escortée d’ingénieurs des Ponts et Chaussées et d’agents voyers, et elle a mis de l’ordre dans ce beau désordre ; mais si Briouze y a gagné, le pittoresque y a beaucoup perdu.
     


    Les gars de Briouze étaient de fort braves gens, élevés dans la crainte de Dieu et de leur seigneur, qui était un maître débonnaire et doux, et dont ils conservèrent la mémoire en mettant sa figure moustachue, sculptée sur pierre, au-dessus du portail de leur église, où on la voit encore. Ils n’avaient qu’un défaut ou plutôt qu’une passion : ils aimaient à boire. Dans ce bienheureux pays il régnait une soif inextinguible ; les femmes y buvaient comme des hommes, et les hommes comme des trous. Le café était alors inconnu ; l’eau-de-vie était un remède d’apothicaire et le vin réservé à la table des riches ; mais il restait le gros cidre et le poiré, et le diable n’y perdait rien.
     
     
     
    Chaque maison était un cabaret ; au-dessus de chaque porte verdissait la branche de houx qui chuchotait à l’oreille du passant : Ici l’on boit. Et le passant entrait, s’attablait et buvait ; et tous les assoiffés de la campagne environnante accouraient là par bandes pour se désaltérer.

     
     
     
    On conçoit, d’après ces goûts bachiques, avec quels transports fut reçue la nouvelle du mariage seigneurial, qui promettait des noces splendides et de franches lippées. Le seigneur était puissamment riche et aussi libéral que riche ; il invita, outre les parents et les amis, ses vassaux, ses tenanciers, tous ceux qui dépendaient de lui, c’est-à-dire le pays tout entier.
     
     
     
    D’immenses tentes avaient été dressées pour abriter le populaire, pendant que la gent blasonnée s’ébaudirait dans la grande salle du château.
     


    Ainsi qu’il fallait s’y attendre, on fit venir l’Homme-Rouge pour entretenir la gaîté et dégourdir les jambes de la jeunesse. Il fut jovial, infatigable, pétillant de verve, étourdissant, cynique. Il chanta devant les nobles invités une sorte d’épithalame émaillé de termes équivoques et de facéties plus que libres, qui faisaient rougir la mariée et rire aux éclats son imbécile d’époux. Il poussait à boire, portait des défis aux plus intrépides buveurs et buvait lui-même comme s’il eût voulu éteindre un incendie intérieur.
     
     
    Onques on ne vit si monstrueuse ripaille ; elle dura sept jours et sept nuits, pendant lesquels on mangea des troupeaux et l’on but la récolte de cidre d’une année.

    A la fin, le diable s’en mêla. Le vin aux épices et les flots de cidre pur avaient à tel point échauffé les têtes, qu’une sorte de délire furieux s’empara de tous les convives, nobles et manants.
     
     
     
    L’époux gifle sans égard sa tendre moitié, qui tombe en pâmoison ; le beau-père saute à la gorge de son gendre ; les épées sortent du fourreau ; les rustres brandissent leurs gourdins ; la mêlée est épouvantable ; chacun frappe au hasard, pris d’une rage aveugle ; ce ne sont que cris de détresse, injures, imprécations et blasphèmes ; vaisselle, brocs,  gobelets, écuelles, débris de tables et de bancs volent de toutes parts.
     
     
     
    Dans cette effroyable bagarre, il y eut des membres brisés, des crânes fendus, des côtes enfoncées, des morts laissés sur le carreau parmi des flaques de sang et dans une inondation de cidre. Le banquet de noces, commencé dans la joie, se termina comme le festin des Lapithes, et l’Homme-Rouge s’en alla en pouffant de rire.
     


    Le lecteur aura deviné que l’Homme-Rouge n’était autre que l’esprit malin, lequel, venu sous un déguisement pour rendre visite à la mère Rabat-Joie, son ennemie intime, avait voulu tout d’abord s’amuser un brin, en jouant aux gars de Briouze, moins malins que lui, un tour de sa façon dont ils se souviendraient dans les siècles des siècles.
     
     
    Il se disposa, aussitôt ce bel exploit accompli, à exécuter le noir dessein qui lui avait fait entreprendre son voyage terrestre.
     
     
     
    Son but était de s’introduire chez la mère Rabat-Joie sous prétexte de lui demander la main de sa fille, de gagner ses bonnes grâces à force de bassesse ; puis, un beau jour, d’emporter l’infortunée Mariette en laissant là sa respectable mère à laquelle il ne tenait pas.
     
     
     
    Le plan, comme on voit, était aussi simple qu’infâme et n’eût pas été indigne d’un baron de grands chemins. Malheureusement pour l’auteur de cette trame infernale, la mère Rabat-Joie avait aussi son idée qu’elle mûrissait dans l’ombre et le mystère.
     
     
    C’était une rusée commère, dissimulée comme pas une, et qui, en fait de roueries, eût rendu des points à toute la robinaille de Domfront et au diable lui-même.
     
     
     
    Elle l’avait du premier coup dévisagé et reconnu, et se tenait sur le qui-vive, prête à lui rendre embûche pour embûche.

     
     
     
    Un matin, l’Homme-Rouge se présente chez elle, la bouche en cœur, sémillant, pomponné, mis à la dernière mode qu’il eût inventée, et inondé d’eaux de senteur pour masquer certaine odeur sulfureuse qui se dégageait de sa personne. Sa vue fait sur Mariette l’effet de celle du loup sur l’innocente brebis.
     
     
     
    Saisie d’une terreur subite, elle s’enfuit toute tremblante dans le coin le plus éloigné de la demeure et, tombant à genoux, prie avec larmes le saint archange Michel et les saints anges gardiens d’écarter d’elle le péril qu’instinctivement elle sent suspendue sur sa tête.

     
     
     
     
    La mère Rabat-Joie ne se déconcerte pas et reçoit le visiteur d’un air gracieux et affable. « Bonjour, cousine », lui dit-il à brûle-pourpoint. Elle fait un geste de surprise, mais l’Homme-Rouge lui déroule une interminable généalogie, où le diable seul comprendrait quelque chose, et qui prouve clair comme le jour qu’ils ont pour auteur commun un certain Caïn, mort depuis très longtemps et qui tua son frère par mégarde.
     
     
     
    La veuve semble flattée d’une si illustre origine et accepte d’autant plus volontiers le cousinage, que dans ce pays-là on cousine jusqu’au trentième degré de parenté. Il la complimente alors sur sa réputation de femme à principes, sur son système d’éducation et sur ses opinions philosophiques qui étaient aussi les siennes. Il se décide enfin à fondre la cloche et lui dépeint en termes éloquents la violence de l’amour que lui ont inspiré les charmes de Mariette.
     
     
    « J’ose espérer, ajoute-t-il, chère cousine, que vous voudrez bien donner votre consentement maternel à cette union qui comblera tous mes vœux. »
     


    La chère cousine d’abord ne répond ni oui ni non, selon l’usage de Normandie, et comme l’amoureux insiste de plus belle, elle finit par se rendre et dit franchement oui. « Mais Mariette, interroge-t-il avec anxiété, est-elle disposée à consentir » ?
     
     
     
    « Ma fille, répond gravement la mère Rabat-Joie, consentira du moment que je consens. Grâce à mon système d’éducation, et je vous le recommande, mon gendre, quand vous aurez des enfants, grâce à ce système je l’ai rendue souple comme un gant et docile comme un agneau. Ma volonté est la sienne, et elle acceptera de ma main un borgne, un bossu, un bancal, le diable même, à plus forte raison un gentil cavalier tel que vous. N’ayez souci, j’en fais mon affaire. Adieu, mon gendre ».
     
     
    « Adieu, belle-maman », répond l’Homme-Rouge, et il se retire joyeux et fier du rapide avancement qu’il avait obtenu, puisque de cousin il était passé gendre en quelques instants.

     
     
     
     
    Le lendemain et le surlendemain nouvelle visite, nouveaux compliments et nouvelle disparition de Mariette qui s’évanouissait comme une ombre, dès que l’Homme-Rouge montrait son nez à l’horizon.
     
     
     
     
    Il en fut d’abord surpris, puis contrarié et s’en ouvrit à la mère. « Ma fille, dit-elle, est timide et farouche ; elle a été élevée dans les bons principes, et la vue d’un homme, surtout d’un bel homme tel que vous, alarme toujours sa pudeur.
     
     
    Mais n’ayez souci ; je lui ferai la leçon.
     
     
     
    Revenez demain soir entre chien et loup, et je vous réponds qu’elle vous accueillera comme vous le méritez. Adieu, mon gendre ».
     
     
     
    L’homme-Rouge s’en retourna  en se frottant les mains et résolu à profiter de l’occasion pour frapper le grand coup et s’emparer de sa proie.
     
     


    Le jour d’après la mère Rabat-Joie fut fort occupée à des préparatifs qui n’étaient pas ceux des fiançailles :
     
     
    elle boucha avec soin la cheminée ainsi que toutes les ouvertures de l’unique pièce du rez-de-chaussée, ne laissant libre que la chatière pratiquée au bas de la porte.
     
     
     
    Dans l’angle le plus sombre était placé un vase plein d’eau bénite où trempait un rameau de buis.
     
     
    Mariette avait un rôle à jouer dans ce drame, rôle si effrayant, qu’aux premiers mots de sa mère elle devint pâle comme la mort et faillit lui désobéir pour la première fois de sa vie. Il ne fallut rien moins, pour l’encourager et la décider, que le serment qu’elle lui fit sur le crucifix de lui permettre, en récompense de sa docilité, d’aller s’enfermer dans un cloître, ce qui était depuis longtemps son désir le plus ardent.
     
     
     


    A l’heure convenue, l’Homme-Rouge, je veux dire le diable, arrive fringant et guilleret. La diablesse, je veux dire la mère Rabat-Joie, se tenait sur le seuil aimable, souriante et empressée.
     
    « Entrez, entrez, mon gendre, dit-elle ; ma fille est prête à tout ; vous n’aurez pas lieu de vous plaindre de son accueil. »
     
     


    Il entre sans méfiance, pendant que la mère Rabat-Joie, restée dehors, ferme derrière lui la porte à double tour. Mariette, debout dans un coin, le rameau de buis à la main, attend l’assaut, ferme et intrépide, car l’archange saint Michel la couvrait de son divin bouclier et lui inspirait un courage au-dessus des forces de son sexe.
     
     
     
     
    Au moment où le diable fond sur elle, il est accueilli par une aspersion d’eau bénite qui retombe sur lui comme une pluie de métal en fusion. Il pousse un rugissement de douleur et de rage, recule effaré, voyant trop tard le piège où il est tombé, et cherche anxieusement une issue pour échapper à l’averse de feu dont l’inonde le rameau bénit.
     
     
    Il court à la porte, elle est fermée à clé ; il vole aux fenêtres, elles sont barrées ; il s’élance vers la cheminée, elle est bouchée.
     
     
     
    Tout à coup, il aperçoit la chatière, se félicite de cet oubli providentiel, et se croit sauvé. Il se fait tout petit, tout petit, se pelotonne, passe comme un trait par l’étroite ouverture et tombe dans un sac que l’astucieuse commère y tenait étroitement collé du dehors. En un tour de main, la bouche du sac est liée, et voilà messire Satan pris comme une souris dans une souricière.
     
     


    Pour plus de précaution, la mère Rabat-Joie enroule solidement tout autour une forte corde, qui ôte tout mouvement au captif et ne lui laisse libre que la langue, dont il se sert pour menacer, jurer, sacrer et blasphémer. Elle ne s’en émeut guère et le regarde d’un air de mépris triomphant.
     
     
     
    Ah ! traître, s’écrie-t-elle, vil hypocrite, abominable imposteur ! Tu as cru me jouer et c’est moi qui t’ai mis dedans. Tu ne connaissais pas, malgré toute ta science, la mère Rabat-Joie ; il y a plus de malice dans son sac qu’il n’y eut jamais de tours et de diableries dans ton bissac. Ah ! tu voulais, serpent, emporter ma Mariette qui est la consolation et la joie de mes vieux jours ! On t’en fricassera des Mariettes.
     
     
     
    Quel joli gendre j’avais là et comme c’eût été honorable et distingué pour une femme à principes comme moi ! Attends, attends un peu ! je vais t’appliquer mon système d’éducation, car ta mère t’a bien mal élevé, sacripant ! » Et empoignant un manche à balai, elle décharge sur le sac et son contenu une si furieuse grêle de coups, qu’elle eût tué le diable, si le diable pouvait être tué. Malheureusement, il est immortel comme le mal.

    La nuit était tombée. La mère Rabat-Joie charge sur ses épaules encore solides son incommode prisonnier qui frétillait comme une anguille et criait à s’enrouer. Le mont de Cérisy était tout proche ; c’est là qu’elle dirige ses pas. Ce mont était alors couvert d’une végétation tellement dense et touffue, qu’elle n’eût jamais réussi à y pénétrer, si l’archange saint Michel ne lui avait pas ouvert la voie avec son épée pour la récompenser de la première et unique bonne œuvre qu’elle eût faite en sa vie. Elle atteint, hors d’haleine, le sommet aride et nu, où ne se posait nul pied humain, y dépose son fardeau et l’entoure de grosses pierres de peur d’accident.

    Le diable, dans cette fâcheuse extrémité, devient humble, doucereux et insinuant ; il appelle la mère Rabat-Joie sa chère amie et s’efforce de l’attendrir par les plus touchantes supplications. Autant eût valu chercher à attendrir un tigre. La chère amie hausse les épaules et lui jette ces mots ironiques : « Adieu, mon gendre, je vous souhaite une bonne nuit de noces. Heureux coquin ! que d’agrément vous allez avoir et comme vous allez faire des jaloux ! Adieu, amusez-vous bien et tâchez de ne pas vous enrhumer ». Puis elle dévale par le même sentier, sans plus se soucier de sa victime dont les mésaventures ne devaient pas se borner, ainsi qu’on le verra dans le cours de ce véridique récit.

    Le lendemain, la mère Rabat-Joie alla s’agenouiller devant l’autel de saint Michel et y consacra le rameau de buis bénit, qui avait mis en déroute le roi de l’abîme. La figure de l’archange lui parut illuminée de rayons et il lui sembla que le démon faisait une plus laide grimace et de plus affreuses contorsions qu’à l’ordinaire : cela ne la surprit pas. L’orgueil et l’ivresse de la victoire adoucirent un instant sa nature indomptable, et elle n’hésita pas à tenir son serment en permettant à sa fille de se donner à Dieu.

    Quelques semaines plus tard, Mariette entrait comme novice dans un monastère des environs. Mais les jours de la jeune vierge étaient comptés et la terre fuyait déjà sous ses pas. Cette fleur d’innocence et de pureté, qui languissait et s’étiolait dans notre atmosphère empestée, ne devait briller de tout son éclat et répandre tout son parfum que dans les jardins du Ciel. Le long martyre enduré sous une mère barbare avait miné ses forces ; les austérités du cloître achevèrent de les user. Elle s’éteignit doucement, au bout de peu de temps, en pardonnant à sa mère, et les anges fidèles, qui l’avaient consolée et soutenue dans le dur chemin de la vie, l’emportèrent morte sur leurs blanches ailes et la déposèrent au pied du trône de Dieu : il y avait une sainte de plus au Paradis.


    III

    Abandonné sans secours sur le sommet désert d’un mont, étroitement serré et emmailloté, exposé nuit et jour à la rigueur des intempéries, le diable se trouvait dans la situation la plus critique et la plus humiliante où fût jamais tombée une puissance déchue. Il pestait, maugréait, enrageait, pleurait, grinçait des dents, gémissait, se désespérait, séchait d’ennui, crevait de dépit, suffoquait de colère et de honte, et ne se soulageait un peu qu’en maudissant mille et mille fois toute l’engeance des filles d’Ève, toutes les normandes de Normandie et en premier lieu, la mère Rabat-Joie, ce monstre, cette harpie qui avait si indignement abusé de sa confiance et violé dans sa personne les droits sacrés de l’hospitalité.

    A l’aversion profonde qu’elle lui inspirait, se joignait maintenant, tout diable qu’il était, une frayeur extrême. La terrible volée de bois sec dont elle l’avait régalé, lui cuisait sur tout le corps, et il tremblait qu’elle ne revînt lui en servir une autre, celle-là de bois vert, très abondant en ces parages, pour qu’il pût faire la comparaison et juger de la différence. Mais elle s’en abstint par générosité naturelle et par grandeur d’âme.

    Quoiqu’elle affichât en toute occasion la haine et le mépris des hommes, la mère Rabat-Joie leur avait rendu, sans le vouloir, un inappréciable service, en les délivrant de leur plus cruel ennemi, de celui qui fut dès le principe l’auteur de tout mal, le tentateur des faibles, le corrupteur des bons, le grand semeur de zizanie, le fauteur des passions et des vices, l’instigateur des méfaits, le boute-feu des séditions et des guerres. Aussi, dès qu’il eût été réduit à l’impuissance et éloigné du théâtre de ses hauts faits, vit-on se produire, dans les idées, les sentiments et les mœurs, une transformation si générale et si merveilleuse, qu’il semblait qu’on retournât vers l’âge d’or. On eût dit le coup de baguette d’une bonne fée venant détruire l’œuvre perverse d’un mauvais génie.

    Les hommes cessèrent tout à coup d’être intempérants, dissipés et joueurs, les femmes d’être légères, médisantes et coquettes. L’union régna dans les familles, les hameaux, les cités. La fidélité conjugale, la pureté des mœurs, le respect pour les parents, le désintéressement, la bonne foi, la probité ne furent plus de vains mots. Les différends s’arrangèrent à l’amiable ; et même en Basse-Normandie, terre promise des gratte-papier et des plaideurs, on n’entendit plus parler de procès. Les juges oisifs baillaient d’ennui comme s’ils eussent été encore sur leurs sièges ; les avocats, condamnés au silence, se firent chartreux, et tous les suppôts de la chicane accomplirent des œuvres pies en expiation de leurs péchés.

    Plus de crimes, de vols, de guet-apens, de brigandage des gens de guerre, de tyrannie féodale, de révolte de serfs poussés à bout ; tout au plus, de loin en loin, quelque larcin commis par inadvertance ou quelque coup porté dans les ténèbres sans intention de nuire.

    A Domfront, ville de malheur pour ceux qu’on menait pendre, car on leur accordait à peine une heure pour se lester l’estomac avant d’entreprendre le grand voyage, à Domfront, dis-je, la potence devint un ornement inutile et les corbeaux des clochers et des tours y cherchèrent vainement leur pâture accoutumée.

    Le bourreau de Domfront, dont j’ai oublié le nom, était un homme doux, serviable, de joyeuse humeur et ami de la plaisanterie. Il se disait maître de danse, parce qu’il apprenait à ses clients à danser sous la corde dans la perfection ; il prétendait que sa potence l’emportait sur tous les pommiers et poiriers du Bocage, parce que ceux-ci ne donnaient des fruits qu’en automne, tandis que l’arbre de justice en portait de très mûrs en toute saison.

    Quand la besogne lui fit complètement défaut, ce brave homme perdit sa gaité et tomba dans la plus noire mélancolie. Il eût pu vivre honnêtement du métier de rebouteux où il était très habile ; mais il aimait passionnément son art, il regrettait ses chers pendus, et son désespoir fut tel qu’il se pendit lui-même.

    De même que les pendards manquèrent aux gibets, de même aussi les prétextes de guerre manquèrent à l’ambition des princes. Il soufflait de toutes parts comme une brise tiède de pacification et de concorde. Les épées rentrèrent au fourreau et les mains désarmées s’unirent dans une fraternelle étreinte. Les conquérants cessèrent de ravager et d’ensanglanter la terre, et la terre cessa de célébrer les exploits et la gloire des conquérants. Plus de tueries héroïques, de villes réduites en cendres, de troupeaux humains emmenés en servitude ; plus de soldatesque effrénée se ruant, comme une horde de démons, sur les populations inoffensives.

    On fut alors témoin d’un événement unique dans l’histoire, le règne trop court, hélas ! de la paix universelle. Ce beau rêve, qui ne prit corps que cette fois-là, a été depuis le thème de bien des discours, le sujet de bien des discussions, et il s’est trouvé récemment des esprits généreux et candides pour tenter d’en faire une réalité. Rien assurément n’est plus digne d’encouragement et d’éloges ; mais, tout en rendant hommage aux efforts et aux intentions de ces philanthropes émérites, je me permettrai de leur dire qu’ils n’atteindront jamais leur but par les moyens dérisoires et puérils qu’ils préconisent. Il n’y a, d’après mes faibles lumières, qu’un moyen pratique et sûr d’y parvenir, c’est celui qui fut imaginé par la mère Rabat-Joie et qu’elle sut appliquer avec autant d’à-propos que de succès.

    Le diable étant, en effet, l’éternel perturbateur de la paix entre les hommes, il importe avant tout, si l’on veut obtenir une paix durable, de le mettre dans l’impossibilité de la troubler. Je conseillerai donc aux vénérables apôtres de la paix universelle et perpétuelle, au lieu de s’attarder à des minuties, d’aborder la difficulté de front, de prendre le diable par les cornes, de le fourrer dans un sac et de l’y tenir dans une rigoureuse captivité. Mais surtout qu’ils veillent à ne pas le laisser échapper, car il recommencerait à faire des siennes et ce serait peut-être pis qu’auparavant.

    L’heureuse métamorphose qui s’était opérée dans les conditions morales de l’humanité, ne pouvait manquer de causer un juste étonnement et de mettre en éveil la curiosité publique. Tout le monde, en effet, fut frappé d’un changement si subit et si en dehors du cours naturel des choses, et chacun à l’envi tendait son esprit et aiguisait ses facultés pour tâcher de pénétrer la cause de ce phénomène psychologique. Mais ce fut en vain ; on eut beau hasarder des conjectures, former des hypothèses, on ne trouva aucune solution satisfaisante et il fallut jeter sa langue aux chiens.

    Afin de sortir d’embarras, on alla consulter les sophistes, gens très ferrés sur la métaphysique et qui dissertaient à ravir sur les effets et les causes. Les sophistes pérorèrent douze heures de suite sans reprendre haleine, parlèrent grec, latin et bas-normand, argumentèrent en *darii*, en *baroco*, en *baralipton*, remuèrent une montagne de textes, citèrent Aristote, Platon, Averrohès, Tertullien, Moïse, Hésiode, David et la Sibylle, l’Écriture et les Pères, la Loi et les Prophètes. Pour finir, car tout a une fin, même les divagations d’un sophiste, ils fournirent des explications tellement obscures, confuses, embrouillées, enchevêtrées, biscornues, stupéfiantes et abracadabrantes, que les auditeurs se sauvèrent, à moitié idiots, en se bouchant les oreilles.

    Il fut déclaré par sentence rendue dans les formes que les sophistes étaient des ânes bâtés, bons à porter les sacs au moulin, et qu’ils recevraient chacun une botte de foin à titre d’honoraires. Après quoi, l’on décida de s’adresser aux sorcières, personnes tenues en très haute considération, car elles passaient aux yeux du vulgaire pour savoir beaucoup plus que les sophistes et un peu moins que le diable qui avait été leur maître d’école.

    Les sorcières, s’étant fait payer d’avance en bonne monnaie ayant cours, se mettent vivement à la besogne ; elles rôtissent force balais, éventrent force crapauds, vont cueillir, au clair de lune, des herbes mystérieuses et des os de mort dont elles composent une étrange salade, marmottent des paroles cabalistiques et célèbrent des cérémonies bizarres pour lesquelles elles se font livrer une quantité fabuleuse de poules noires qu’elles mangent de fort bon appétit. Malheureusement pour ces filles d’enfer, elles avaient compté sur le diable pour les inspirer et leur dicter une réponse, et le diable étant empêché, comme on sait, elles ne firent que balbutier, bredouiller, ânonner, bafouiller, et restèrent honteusement à court. Convaincues de supercherie, de mensonge et d’imposture, elles furent rudement fessées, mais on leur fit grâce du fagot, ce qui était un signe non équivoque de l’adoucissement des mœurs.

    Après ce double échec, on fit partir des messagers pour aller interroger un vieil astrologue qui habitait près de Tinchebray une vieille tour en ruine, en compagnie des chats-huants et des chauves-souris. C’était l’homme le plus savant de ce temps-là et sa réputation était européenne, car elle s’étendait jusqu’à Falaise. L’astrologue, ayant caressé sa longue barbe blanche, commence par observer longuement les espaces célestes ; il se plonge dans de longs calculs, trace des figures avec un long compas et déclare d’un ton d’oracle que le phénomène sur lequel on l’interroge est dû à l’influence des astres et qu’il a pour cause première une conjonction favorable de je ne sais quelles planètes.

    Cette réponse est pour les messagers comme un trait de lumière ; ils demeurent en extase devant une science si profonde ; puis chacun s’en va répétant : « Il a raison ; ce doit être l’influence des astres ; c’est certainement l’influence des astres. » Et bientôt, de tous côtés, on n’entend que ces mots : « C’est l’influence des astres. »

    Pauvres gens qui, ayant le malheur de vivre à une époque d’ignorance et de barbarie, attribuaient aux astres une prétendue influence sur les choses d’ici-bas et allaient chercher très loin, au plus haut de la voûte des cieux, la raison d’un phénomène dont la cause était là, tout près d’eux, sans qu’ils eussent l’air de s’en douter !

    La mère Rabat-Joie dut bien rire en entendant vanter l’influence des astres, elle qui savait de quoi il retournait et qui eût pu, dès le premier jour, déchiffrer l’énigme mieux que tous les sophistes, toutes les sorcières et tous les astrologues ; mais elle était trop madrée pour en souffler mot, craignant non sans sujet que quelque curieux malavisé ne vînt rendre la liberté au vilain oiseau qu’elle avait tant d’intérêt à garder en cage.

    L’oiseau finit pourtant par en sortir, ou plutôt il en fut tiré, dans des circonstances peu ordinaires, par un personnage que je dois d’abord présenter au lecteur. Il se nommait le Chevalier Sans-Sou-ni-Maille ; c’est ainsi du moins que le désigne l’anonyme, lequel ne fait pas difficulté d’avouer que ce n’était là qu’un sobriquet ou nom de guerre donné au Chevalier par ses compagnons de débauche ou de combat. Quant au vrai nom et au vrai titre, il refuse de les faire connaître par des motifs respectables de prudence et par égard pour la famille qui était l’une des plus puissantes de la noblesse normande.

    Le Chevalier Sans-Sou-ni-Maille était un terrible sire, un colosse pour la taille, un Samson pour la force, et son aspect était si truculent qu’à l’exemple de certain gascon de Gascogne, il ne pouvait se regarder dans un miroir sans se faire peur à lui-même.

    Il ne fut pas toujours sans sou ni maille ; il avait été au contraire extrêmement opulent ; mais, si grande que fût sa fortune, ses passions et ses appétits étaient plus grands encore et l’entraînèrent à toute sorte d’excès, de prodigalités et de désordres. Le vin, le jeu et les filles étaient la seule trinité à qui il rendît assidûment hommage. Il mangeait son blé en herbe, ses bois jusqu’à la racine, ses villages morceau par morceau et dissipait en quelques semaines le revenu d’une année.

    Il existait alors en Normandie un vieux proverbe à l’usage de la bourgeoisie et des petites gens, lequel disait : Qui paie ses dettes s’enrichit. Le Chevalier, en avance sur son temps de plusieurs siècles, y avait introduit une très légère variante et lui fit dire : Qui s’endette s’enrichit. C’était presque la même chose, mais c’était tout le contraire.

    Je sais fort bien que la maxime : Qui s’endette s’enrichit, malgré son air absurde et paradoxal, forme aujourd’hui la base du système économique des nations civilisées. Toutes la mettent en pratique, empruntant à outrance, afin de s’enrichir sans mesure, et l’on en voit qui, chargées d’une dette écrasante, marchent aussi allègrement que le géant Atlas, lorsqu’il portait la Terre sur ses robustes épaules. Seulement, gare à ne pas broncher, car toute chute serait mortelle.

    Ce système, excellent pour les nations, parce qu’elles ont les reins solides et des grâces d’état qui leur sont spéciales, ne vaut absolument rien pour un particulier, fût-il baron ou duc, et notre imprudent Chevalier ne tarda pas à en faire la triste expérience. Il n’eut pas de peine à trouver des prêteurs, car s’il n’existait pas encore des banquiers israélites, il y avait à foison des usuriers juifs, gens forts expéditifs à plumer tout volatile qui s’abattait à portée de leurs mains rapaces.

    Il put donc s’endetter à son aise ; mais, chose surprenante, il n’en devenait pas plus riche. Bien au contraire, il s’appauvrissait de plus en plus, laissant chaque jour quelque plume grosse ou petite aux doigts crochus des fils d’Abraham : c’était un champ, un pré, un moulin, un coin de forêt, une métairie ou quelque autre lambeau de ses vastes domaines. A dire vrai, il n’y songeait guère et ne s’en inquiétait pas, tellement il était occupé à mener un train d’enfer et une vie bruyante et folle, tant il était absorbé par les plaisirs et les fêtes, par les parties de chasse, le jeu et les orgies.

    Enfin vint le moment fatal où, tout le reste ayant été dévoré, il lui fallut aliéner le dernier débris de son opulence, le château de ses nobles ancêtres, qui durent tressaillir d’horreur dans la tombe. Il se trouvait désormais entièrement ruiné, dépouillé, mis à nu, et cet aigle féodal, naguère effroi des campagnes, présenta l’aspect lamentable d’un grand oiseau déplumé à qui il ne restait qu’un bec énorme et des serres démesurées.

    Bec et serres ne demandaient qu’à s’enfoncer  dans une proie vivante et le Chevalier résolut de se servir de ces armes redoutables pour regagner sur les chrétiens ce que lui avaient pris les juifs.
     
    Sentant renaître en lui les instincts belliqueux de sa race, il recrute une bande d’aventuriers, de malandrins et de désespérés, tous gens de sac et de corde disposés à devenir des héros, se met à leur tête, dit adieu à son ingrate patrie et s’en va au loin offrir ses services aux rois et aux princes engagés dans des guerres.

    Aux combats et aux assauts il déploie une bravoure extraordinaire, toujours le premier à l’attaque, toujours le premier sur la crête du mur assailli.
     
    Le Chevalier et sa troupe passent comme une trombe à travers la bataille, renversant tout ce qui leur résiste et jonchant le sol de morts et de mourants.

    Après la victoire, le butin. Malheur aux populations qui se trouvent sur le passage de la bande infernale ! Elle ne respecte rien, ne connait ni amis ni ennemis, met tout à feu et à sang, viole, dévaste, massacre, emporte ce qu’elle peut et détruit le reste. La terre sur ses pas se change en désert.

    Cependant, contre toute attente, l’heure de la pacification générale a sonné. Il faut, la rage au cœur, s’arracher à la curée, renoncer aux combats et aux conquêtes, plier bagage et reprendre le chemin oublié de ses foyers.
     
    C’est ce que fait le Chevalier qui, parti pauvre pour la guerre, revenait aussi pauvre qu’il était parti ; et ce n’était pas, croyez-le bien, faute d’avoir volé, pillé et saccagé autant et plus que n’importe quel chef de bande, mais parce que l’or se fondait comme la neige entre ses mains prodigues.

    Voyageant à pied, car il s’était vu réduit à vendre son cheval, il se dirige vers le pays de Tinchebray, où il espérait trouver un asile, et arrive un beau matin au pied du mont de Cérisy qui, dressant sa masse sombre, lui barrait audacieusement  la route.
     
     
    Tout autre l’eût contourné, en prenant à droite ou à gauche ; mais le fougueux Chevalier abhorrait les détours, ne reculait devant rien et s’irritait contre tout ce qui lui faisait obstacle. Il crie au mont de se ranger ; le mont ne bouge pas.
     
    Eh bien, qu’à cela ne tienne, il lui passera sur le corps et lui fera sentir la vigueur de son bras ; il en a vu bien d’autres. Et le voilà qui se précipite sur le mont, furieux et le fer levé.

    Les fourrés impénétrables qui en hérissent les flancs ne lui opposent qu’une fragile barrière. Que pourraient-ils contre un preux habitué à traverser les forêts de lances et de piques ? Il se jette au plus épais, s’ouvre un chemin à grands coups d’épée qui retentissent jusqu’au fond de la gorge où roule le Noireau, et luttant victorieusement contre cette nature rebelle, il avance, monte, grimpe, gravit et atteint enfin le sommet, où ses regards tombent sur un objet informe qui remue et qui geint. Il s’arrête stupéfait.

    « Quelle est cette bête-là ? » se demande-t-il et, se penchant à terre, il reconnaît un sac soigneusement ficelé et quelque chose dedans qui s’agite et fait effort pour sortir. Il essaie d’entr’ouvrir le sac ; mais une vapeur méphitique qui s’en échappe, manque de le renverser et il le referme aussitôt. « Quelle est cette bête puante et nauséabonde ? » se demande-t-il de rechef. O prodige ! la bête se met à parler d’une voix dolente et faible comme celle d’un moribond. « Brave Chevalier ! murmure la voix, je t’en conjure par tout ce que tu as de plus cher sur la terre et en enfer, ouvre, ouvre vite ce sac où j’étouffe. Rends-moi la liberté et je te récompenserai dignement. »

    « Par les cornes de Belzébuth s’écrie le Chevalier, ta voix est celle d’un chrétien, mais tu ne l’es pas, je le jurerais, car un chrétien eût crevé dans une si étroite prison. Tu es certainement le diable et je suis ravi de faire ta connaissance. Mais, dis-moi, tison d’enfer ! par quel hasard es-tu ici à faire pénitence comme un anachorète, au lieu d’être à courir le monde en semant la discorde et en nous taillant de la besogne à nous autres, gens de guerre et de proie ? Qui t’a fourré dans ce sac ? »

    « Une femme, répond le captif, presque une belle-mère, car j’étais sur le point de lui donner un nom si doux. Cette créature infâme m’a tendu un guet-apens et m’a apporté garrotté dans cette solitude. Mais ouvre, ouvre vite, guerrier magnanime ! car j’étouffe. »

    Le guerrier magnanime, que cette aventure réjouissait fort, se livre à un accès de fou rire que le diable ne partage pas. « Ah ! tu t’es frotté aux femmes ! lui dit-il, il t’en a cuit et c’est bien fait. Ne savais-tu donc pas, imbécile, qu’une femme a plus de malice qu’un démon ? Et tu voulais même te marier, comme si tes cornes n’étaient pas assez longues ! Allons, je vais avoir pitié de toi et te tirer de ce mauvais pas, car tu as été diablement naïf et d’ailleurs il est écrit qu’il faut secourir ses semblables. » Et pendant que d’une main il se bouche les narines, de l’autre il coupe les cordes et ouvre le sac.

    Le diable en émerge lentement, engourdi, perclus, efflanqué, aminci, fluet, desséché, ridé, momifié, tanné, ratatiné et semblable à une de ces longues andouilles, qui pendent noires de suie aux vastes cheminées du Bocage. Il aspire l’air avec délices, s’étire, s’allonge, se secoue et tâche de dégourdir ses membres martyrisés ; sa force et son agilité reviennent par degrés ; il hasarde un pas, puis plusieurs autres, essaie une cabriole et s’apprête à prendre son vol ; mais il ne peut aller loin. Le Chevalier, qui avait son idée, l’avait saisi par la queue qu’il serrait fortement.

    - Tout doux, camarade, tout doux, lui dit-il. Ne sois pas si pressé ; on dirait que tu as le feu au derrière, toi qui le mets aux autres. J’ai infiniment du plaisir dans ta compagnie, et l’on gagne du reste à fréquenter les personnes de ta condition, quoiqu’elles ne sentent pas la rose. Avant de me priver de ta société, je dois t’adresser une prière que, je n’en doute pas, tu t’empresseras d’exaucer.

    - Fais vite et lâche-moi. J’ai hâte d’aller à mes affaires que j’ai négligées depuis un bout de temps. On me réclame de tous côtés et le monde soupire après moi.

    - Le monde soupire après toi comme l’agneau après le loup ou le débiteur traqué et aux abois après son féroce créancier ; il ne s’apercevra que trop tôt de ton retour. Ecoute-moi, voici ce que j’avais à te dire. Tu me dois de la reconnaissance, non pour t’avoir délivré, – je ne l’ai pas fait, crois-le bien, pour tes beaux yeux – mais à cause du grand nombre d’âmes que je t’ai envoyées à mainte reprise. Je conviens qu’elles étaient fort laides, car c’étaient des âmes d’aventuriers ; mais je ne pouvais mieux faire, à moins de t’envoyer la mienne dont tu n’aurais pas voulu. D’autre part, je n’ai pas à t’apprendre que je suis gueux comme le saint homme Job dont les compatriotes m’ont plumé tout vif, et tu le sais d’autant mieux que je te loge depuis longtemps dans mon escarcelle, ce dont je me serais volontiers dispensé. Fais-moi donc la grâce de me prêter sur ma mine une petite somme qui me permette de redorer mon blason et de satisfaire mes goûts qui, je t’en préviens, sont immodérés et insatiables. J’ai dit.

    - Fort bien, lâche-moi et je t’apporterai tout l’argent que tu pourras désirer.

    - Nenni, nenni ; nous sommes normands en Normandie, je veux dire méfiants et soupçonneux. Nous pratiquons le sage proverbe : Mieux vaut tenir que courir ; et puisque je te tiens par le bon endroit et que je n’ai pas envie de courir après toi, ce qui serait courir après le vent, je ne te lâcherai que quand tu auras lâché la petite somme que j’implore de ta générosité.

    - Mais que veux-tu que je te donne, bourreau ? Tu le vois, je n’ai rien ; j’ai eu des malheurs ; j’ai éprouvé de grosses pertes d’argent. Le percement du Panama infernal a percé et vidé ma bourse, et elle est restée aussi plate que si tous les juifs de l’enfer y avaient passé. Regarde-moi, ai-je l’air d’un Crésus ? Je ne suis qu’un pauvre diable sans sou ni maille comme toi.

    - A d’autres avec tes jérémiades, faux indigent ! Je n’en croirai pas un traître mot, car tu es le père du mensonge et tu mens par la gorge comme un chevalier félon. Tu dois avoir un magot quelque part, et tant que tu ne l’auras pas déposé tout entier entre mes mains loyales, je m’attacherai à ta queue et ne te lâcherai pas d’une semelle. »

    Le dialogue se poursuit sur ce ton et menace de s’éterniser. L’un exige avec arrogance, l’autre refuse avec opiniâtreté. C’est à qui n’en démordra pas, à qui montrera plus d’obstination. Jamais breton bretonnant ou mulet d’Auvergne ne fit preuve d’un entêtement pareil. Las enfin de piétiner sur place, ils se mettent en route sans but déterminé, le diable faisant des efforts inouïes pour se dégager et le Chevalier lui marchant sur les talons, la queue du prisonnier serrée dans sa main comme dans un étau, et lui caressant de temps à autre l’échine à coups de plat d’épée, qui seuls avaient le don de le ramener au calme convenable à sa situation.

    Le Chevalier avait un poignet de fer ; il eût arrêté instantanément une meule de moulin ou un attelage de six chevaux ; et d’ailleurs rien ne double les forces et l’énergie d’un homme comme le manque d’argent et le besoin impérieux de s’en procurer. Le diable ne put jamais lui faire lâcher prise, et il fallait que sa queue fût solide comme un câble pour ne s’être pas rompue dix fois sous les violentes secousses qu’elle eut à supporter.

    Tous deux errent ainsi longtemps à l’aventure. Ils vont en amont, en aval, à droite, à gauche, en avant, en arrière, décrivent des courbes et des zigzags, franchissent des rivières, traversent les hameaux et les bourgs, tandis que les bons villageois se mettent curieusement aux portes ou interrompent leurs travaux champêtres et regardent passer, tout ébahis, le Prince des ténèbres respectueusement suivi de son fidèle caudataire.

    Si l’on s’en rapporte à la tradition, c’est pendant cette pérégrination fantastique que le malin esprit creusa, par vengeance et malice, les innombrables fossés qui, dans ce pays-là, usurpaient le nom de chemins et qui, fangeux en toute saison et presque impraticables, ont fait damner durant des siècles charretiers et piétons.

    Quoiqu’il fût parti avec la ferme volonté de ne pas céder, le diable éprouva en route divers accidents qui ébranlèrent sérieusement sa résolution. A Landigou il faillit se casser le cou ; à Landisacq il perdit son bissac ; à la Lande-Patry il le retrouvit ; à Claire-Fougère il chut sur le derrière ; à Crasménil il chut sur le nombril ; à Mille-Savates il s’écorchit les pattes ; à Sainte-Honorine il faisait piteuse mine ; à Echalou il était à bout ; enfin à Monci il cria merci.

    Il était temps, car la queue, si dure, fibreuse et coriace qu’elle fût, menaçait de se détacher à force d’être secouée et tiraillée en tout sens. Et que serait devenu son prestige s’il avait eu le malheur de la perdre ? Se figure-t-on un diable sans queue ? On l’eût partout montré au doigt ; il eût été honni, déshonoré, exclu de la bonne société, livré à la risée publique, et il n’aurait eu d’autre ressource que d’abdiquer et de se faire ermite, quoiqu’il se sentît encore trop jeune pour cela.

    Il se résigna donc, fit taire son orgueil ulcéré, se rendit à discrétion et, toujours tenu en laisse, conduisit son acharné persécuteur à une carrière abandonnée du mont Crespin, entre Flers et Tinchebray, où, dans une excavation habilement dissimulée, il lui montra un trésor qui eût fait la fortune d’un monarque. C’était sa cassette particulière ; c’est là qu’il puisait, quand, pour faire réussir un plan, il avait besoin de corrompre, de suborner et de séduire. Ce trésor provenait d’un juif de Germanie qui avait été son ami intime et dont il favorisa les opérations véreuses jusqu’au jour où, le trouvant riche à point, il lui tordit le cou et s’appropria son bien.

    Le Chevalier fut ébloui à la vue de tant d’or, mais il fut surtout enchanté d’en connaître l’origine et de pouvoir prendre sa revanche sur la race papelarde et pillarde qui l’avait détroussé. Pour témoigner sa reconnaissance au diable, il lui applique plusieurs coups de pied bien pointus sur la double proéminence postérieure ; puis il le lâche. L’autre, sans demander son reste, ne fait qu’un bon jusqu’aux frontières de son empire ; mais il n’y rentre pas en triomphateur, comme il s’en était flatté, lorsqu’il espérait y emporter une sainte toute en vie. Berné et battu par la mère Rabat-Joie, battu et dévalisé par le Chevalier Sans-Sou-ni-Maille, il s’y glisse tout penaud, l’oreille basse et la queue entre les jambes, et s’en va soigner son royal appendice meurtri et disloqué, ce qui donne encore quelque répit aux humains.

    Son retour dans le monde fut signalé par un coup d’État, qui mit fin au règne éphémère du bien et restaura l’empire antique du mal. Le vice reparut ; les instincts pervers se réveillèrent ; l’ambition gronda de nouveau et la discorde ralluma ses torches. Les désordres, les révolutions et les guerres reprirent de plus belle et se déchaînèrent avec une fureur croissante. Ces fléaux n’ont cessé depuis lors de désoler la terre et ils ne disparaîtront que le jour, très éloigné, je pense, où les apôtres de la paix universelle auront trouvé le secret de nous ramener l’universelle concorde, qui fait universellement défaut dans ce pauvre Univers.

    Le Chevalier se  disposait à recommencer sa vie de scandale, lorsqu’il fut tout à coup éclairé par un rayon de la grâce divine. Il se convertit et renonça à la voie de perdition pour entrer dans celle de la pénitence et du salut. Les prières d’une sainte qui, du haut du Ciel, veillait sur ceux qui, même par des moyens peu corrects, combattaient l’esprit des ténèbres, contribuèrent beaucoup à cette conversion qui fit grand bruit dans toute la chrétienté et fut mise au nombre des miracles.

    Devenu aussi humble et doux qu’il avait été orgueilleux et violent, il prit l’habit religieux dans l’abbaye de Belle-Etoile, consacrant à de bonnes œuvres et purifiant par ce pieux emploi le trésor qu’il avait extorqué au diable et qu’il n’eut garde de lui restituer. Il fit d’importantes donations à cette abbaye et de riches présents au monastère du Mont-Saint-Michel ; il bâtit des églises, créa des léproseries et des hospices, racheta des captifs et fonda sur le mont de Cérisy un ermitage en commémoration de la victoire qu’il avait remportée sur Satan et qui fut la dernière et la plus éclatante de ses victoires terrestres. Il mourut comme un saint après avoir longtemps vécu comme un damné.

    Si les prières de Mariette furent assez puissantes pour obtenir la conversion du Chevalier, elles n’eurent pas le même effet sur sa mère, dont la méchanceté, défiant la grâce et les miracles, augmentait à mesure qu’elle avançait en âge et qui de diablesse aux trois quarts devint diablesse tout-à-fait. Aussi, lorsqu’elle délivra le monde de sa présence, s’en alla-t-elle tout droit vers l’enfer, seul endroit digne de lui offrir un gîte. Mais Satan, instruit de son approche, fut saisi d’une telle épouvante, qu’il fit fermer et barrer à la hâte toutes les portes de l’infernal séjour. La mère Rabat-Joie se trouva dans le plus grave embarras. Aller au Ciel ? Il n’y fallait pas songer ; elle en eût fait un enfer, et d’ailleurs le portier saint Pierre lui en interdisait sévèrement le seuil. Retourner sur la terre ? Cela présentait des difficultés. Elle prit donc le seul parti qui restât à prendre : elle se réfugia dans le Purgatoire.

    La façon dont le Chevalier Sans-Sou-ni-Maille gagna un trésor en s’attachant à la queue du diable fut d’un exemple pernicieux, car elle suscita et suscite encore une foule d’imitateurs. Tous les besoigneux, les gens criblés de dettes, les commerçants dans la détresse, les spéculateurs ruinés, les joueurs malheureux, les auteurs crottés, les viveurs sans le sou, les ménages dans la gêne, tous ceux, en un mot, que tourmente le mal d’argent, et ils se nomment légion, se sont accrochés désespérément à cette queue mirifique, dans la persuasion qu’elle les tirerait de misère et les mènerait à la fortune. Aucun n’a découvert le moindre trésor ; tous, au contraire, ont peiné comme des galériens, sué, ahané, reçu force ruades et coups de corne. Mais, en dépit des déceptions et des déconvenues, ils y reviennent sans cesse comme les mouches au gâteau de miel. Tellement est puissant et tenace l’espoir de trouver de l’argent chez eux qui en sont dépourvus !

    Et maintenant, comme à toute histoire, conte ou légende, il faut une moralité, j’énoncerai la mienne sous la forme d’un conseil amical à l’adresse de ceux qui auront eu la bonté de me lire et la patience d’aller jusqu’au bout.

    Soyez, leur dirai-je, économes, sobres et prévoyants ; ménagez vos ressources ; mesurez vos dépenses à vos moyens ; ne cédez pas aux entraînements du jeu ; fuyez les cafés, brasseries, estaminets et autres lieux de dissipation et de buverie, où s’engloutit tant d’argent péniblement gagné ; tenez-vous en garde contre les coupeurs de bourse qui vous guettent au coin d’une réclame alléchante ou d’un prospectus insidieux ; ne risquez pas votre faible nacelle sur cette mer perfide de la finance, toute peuplée d’écueils, de requins et de forbans ; ne souffrez pas que vos fils compromettent votre fortune par leurs folies, que vos femmes et vos filles vous ruinent en parures frivoles et en toilettes extravagantes ; faites enfin tout au monde pour ne pas être réduits à la tâche ingrate, fatigante, écœurante et , en somme, inutile de tirer le diable par la queue.

    A. ALMAGRO.

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    http://www.bmlisieux.com/archives/almagro.htm

     

    http://www.france-pittoresque.com/spip.php?article5635

     

     

     

     

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